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phose, transformé plus encore le cerf de Corse, et fait de lui une espèce vraiment distincte de la souche parente ? Oui, répondraient Lamarck, Darwin, M. Naudin et leurs disciples ; non, n’hésité-je pas à dire. Pour juger de quel côté est la vérité, appelons-en à l’expérience, à l’observation. Interrogeons d’abord les résultats fournis par l’étude de la forme seule. Ici nous rencontrons un des faits généraux déjà signalés. Dans toutes les espèces partiellement soumises, les variétés et les races sont plus nombreuses, plus tranchées parmi les représentans domestiques que parmi les représentans sauvages. L’expérience, d’accord avec la théorie qui seule me paraît vraie, atteste que l’homme est plus puissant que la nature quand il s’agit de modifier les organismes vivans. Or nous avons eu beau pétrir et transformer ces organismes, nous n’avons fait que des races, jamais des espèces. Comment la nature, qui ne nous a même pas égalés dans cette voie partout où nous avons pu comparer ses œuvres aux nôtres, nous aurait-elle surpassés ailleurs ? Affirmer qu’il en est ainsi, c’est tout au moins faire appel à l’inconnu. À ne juger que par ce que nous savons, la morphologie seule autorise à penser que jamais une espèce n’en a enfanté une autre par voie de dérivation ou de transformation résultant d’actions naturelles analogues aux procédés que nous employons pour obtenir des races.

La physiologie est bien plus explicite encore. Constatons d’abord que, sur ce terrain-là aussi, l’homme s’est montré plus puissant que la nature. Dans nos végétaux cultivés, dans nos animaux domestiques, ce n’est pas seulement la forme qui est changée, ce sont aussi et surtout les fonctions. Si nous n’avions fait que grossir et déformer nos fruits et nos légumes, ils seraient restés immangeables. Il a fallu, pour les approprier à nos besoins et aux exigences de notre goût, réduire dans tous la production de certains élémens, multiplier le développement de certains autres, c’est-à-dire modifier la nutrition et la sécrétion. Si ces mêmes fonctions étaient restées ce qu’elles étaient chez les souches sauvages, nous n’aurions pas nos races de moutons à laine fine et nos moutons de boucherie, nos bœufs de labour, nos durham et nos races laitières, nos énormes limoniers et le cheval de course ; si les instincts eux-mêmes n’avaient obéi à l’action de l’homme, nous n’aurions pas dans le même chenil le chien d’arrêt et le chien courant. Rien de pareil n’existe dans la nature.

La supériorité de l’homme n’apparaît pas moins vivement dans l’étude de la fonction la plus en rapport avec les problèmes qui nous occupent. Les phénomènes de la reproduction touchent évidemment à ce qu’il y a de plus intime dans les êtres vivans. À l’état sauvage, les oscillations, comme nous l’avons dit, en sont fort peu étendues.