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comme s’il s’agissait d’êtres contemporains. Rien ne vient contredire ces témoignages si positifs. Toutes choses égales d’ailleurs, les espèces fossiles sont aussi tranchées, aussi distinctes que les espèces actuelles. Rien donc qui ne conduise à conclure que les lois n’ont pas plus changé dans le monde organique que dans le monde inorganique, et que, dès les temps paléontologiques, l’hybridation et le métissage réglaient les rapports des espèces et des races comme ils le font de nos jours. Admettre qu’il a pu en être autrement d’une manière soit régulière, soit accidentelle, c’est opposer à tout ce que nous savons sur le présent et le passé de notre globe le possible, l’inconnu. Entre ces deux sortes de motifs de conviction, je ne saurais hésiter. Voilà pourquoi je ne puis trouver dans une transformation graduelle et lente l’origine des espèces.

Des divergences d’opinions sur des phénomènes encore inexplicables ne me rendront jamais injuste envers des hommes éminens. J’ai combattu leurs doctrines ; j’ai défendu les miennes, chaque jour attaquées en leur nom. Je n’en rends pas moins à leurs travaux un sincère et cordial hommage. Les hypothèses aventureuses de la Philosophie zoologique et de l’Introduction à l’histoire des animaux sans vertèbres ne m’ont pas fait oublier ce qu’il y a de profondément vrai dans ces ouvrages du savant que ses contemporains appelaient le Linné français. Les théories de M. Naudin ne m’empêchent pas de voir en lui le rival, souvent heureux de Kœlreuter[1]. Quant à Darwin, j’aurais aimé de faire connaître en détail sa vie entièrement vouée à l’étude et cet ensemble de recherches incessantes, de découvertes du premier ordre venant tour à tour enrichir chacune des grandes divisions de l’histoire naturelle[2]. J’aurais été heureux de montrer tout ce qu’il y a de science variée et sûre dans ces livres mêmes dont j’avais à discuter l’idée-mère, mais qui m’ont tant appris. Malheureusement le but de ce travail m’interdisait tout développement, toute excursion de cette nature. Du moins ai-je essayé de faire ressortir comme elle le mérite la bonne foi

  1. Kœlreuter consacra vingt-sept années à l’étude de l’hybridation, dont il reconnut presque toutes les lois fondamentales. Ses travaux ont été publiés de 1761 à 1774.
  2. Tous les géologues connaissent les observations de Darwin sur les îles volcaniques, sur la structure et la distribution des îles madréporiques, sur la géologie de l’Amérique du Sud ; les paléontologistes, les zoologistes, les embryogénistes, ne sauraient oublier le magnifique travail sur les cirrhipèdes publié aux frais de la société de Ray. Tout récemment, le Dr  Hooker, un des juges assurément les plus autorisés, en ouvrant la trente-huitième session de l’Association britannique, mettait au nombre des plus importantes découvertes faites en botanique celles que Darwin a publiées dans ses mémoires sur le polymorphisme de plusieurs espèces, sur les phénomènes que présente le croisement des formes diverses d’une même espèce, sur la constitution et les mouvemens des plantes grimpantes.