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du mikado à l’époque de la scission première des pouvoirs, de celui des derniers taïcouns de la branche de Kii-siou qui régnaient il y a peu d’années. Leur énergie passée, qui tint en échec les shiogouns, semble s’être émoussée dans une longue inaction, dans la mollesse d’une vie oisive, peut-être aussi par l’abus de certains plaisirs. Relégués dans leurs châteaux, ils se sont abstenus, à par quelques exceptions, de figurer en personne sur le théâtre des événemens. Ce sont les kéraïs qui en ont mené les intrigues, qui ont comploté, qui, le moment venu, ont endossé l’armure de guerre ; c’est à eux qu’appartient un petit groupe d’hommes intelligens et hardis qui ont aujourd’hui la plus grande part aux affaires, tout en restant au second plan. La révolution actuelle, provoquée par les efforts de la seconde couche sociale du Japon, aurait donc pour effet de faire arriver le pouvoir entre ses mains.

Au milieu de ces péripéties se détache un résultat important : la présence des étrangers au Japon est désormais un fait incontesté. Assurément nous rencontrons peu de sympathie chez la classe noble, jalouse de conserver intactes les institutions du passé, et dont l’introduction de nos idées menace pour l’avenir le prestige et l’autorité. Elle nous accepte néanmoins comme un mal inévitable. Bien plus, elle tâche aujourd’hui de tirer le plus grand avantage possible de ces relations forcées. Les Japonais viennent à nous par la force des choses, et il résulte de ce mouvement, accru par les besoins qu’engendre la guerre civile, un véritable envahissement du pays. L’activité, la force d’expansion, la supériorité intellectuelle de la race européenne, lui assurent dans ce milieu de rapides et pacifiques progrès. Il y a lieu de souhaiter que cette difficile épreuve ne soit pas fatale à ce peuple plein d’instincts généreux et digne en définitive de sympathie. La France, tout en ayant au Japon de plus grands intérêts commerciaux qu’on ne semble généralement le croire, n’y occupe point à ce point de vue le premier rang ; mais elle pourrait, ce nous semble, s’y donner un beau rôle, celui de veiller à l’intégrité de cet état en l’aidant de son appui sincère et désintéressé, en le défendant contre les convoitises qu’éveillent ses richesses naturelles. Elle trouverait, pour remplir cette mission, un puissant auxiliaire dans les côtés brillans et chevaleresques du caractère français qui nous acquièrent si facilement la sympathie des races orientales.


ALFRED ROUSSIN.

Yokohama, 15 janvier 1869.