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eux-mêmes ? Pas davantage, elle leur donne le mot d’ordre ; il faut qu’ils obéissent. Il y en a un certain nombre, une quarantaine, qui ont eu le courage de résister, et comme l’association internationale n’est pas seulement l’assemblée constituante de l’industrie, qu’elle est aussi un tribunal vehmique, elle a menacé les dissidens de publier leurs noms, de les signaler comme des traîtres. Par une réaction naturelle cependant, cette libérale population de Genève a fini par s’émouvoir ; elle appuie énergiquement dans leur résistance les dissidens, et elle ne se montre pas d’humeur à laisser s’accomplir les révolutions dont on a menacé son conseil d’état. Les choses en sont là.

Ce qui arrive à Genève, n’est-ce pas d’ailleurs un peu ce qui se passe à Paris ? Ici également, des délégués omnipotens dictent des conditions, décrètent des tarifs, prétendent régler les conditions du travail. Ils ont failli, il y a quatre mois, tout comme leurs émules de Genève, lancer les ouvriers imprimeurs dans une grève qui n’a été momentanément détournée que parce qu’on s’est entendu au dernier instant pour nommer une commission mixte. Cette commission vient de se dissoudre, elle n’a pu arriver à rien, parce que les délégués ont élevé la prétention, de régler le mode de travail que les maîtres imprimeurs devaient employer pour telle ou telle publication. Ce qui arrivera maintenant, nous ne le savons trop ; on touche peut-être à quelque crise nouvelle. Or sait-on ce qui peut résulter de ces prises perpétuelles ? C’est que l’industrie typographique elle-même, une des plus belles industries françaises, est menacée. Déjà les libraires s’arrangent pour suspendre leurs travaux ou pour envoyer en province, jusqu’à l’étranger, jusqu’à Leipzig, ce qu’ils ont à faire imprimer, plutôt que de subir des conditions onéreuses. Les maîtres imprimeurs finiront par être obligés de fermer leurs ateliers, et quelles seront les premières victimes, si ce n’est ceux qui vivent de leur travail ? Que les ouvriers défendent leurs intérêts, qu’ils les discutent librement avec les chefs d’industrie qui les emploient, qu’ils se réunissent, qu’ils s’associent, qu’ils choisissent parmi eux des mandataires pour soutenir leur cause, rien n’est plus simple et plus légitime ; mais c’est justement ce qu’ils ne font pas : ils livrent leurs intérêts à des délégués qui ne les consultent guère, qui disposent d’eux despotiquement ; ils paient les frais des expériences socialistes des novateurs de l’association internationale. Ce qu’il y a malheureusement dans tout cela, c’est une atteinte violente, perpétuelle et funeste à la liberté du travail et des transactions. Quoi qu’on fasse, on ne changera pas les lois les plus naturelles de l’économie publique ; on ne créera pas des hausses artificielles de salaires, ou, si on les crée, ce sera pour la ruine de ceux qui travaillent aussi bien que de ceux qui font travailler. On n’arrivera à rien tant qu’on opposera éternellement la solidarité des salaires et la solidarité des capitaux, parce qu’en définitive, capitaux et travail, loin d’être des enne-