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donne le signal d’une agitation toute nouvelle dans ce petit pays, accoutumé depuis assez longtemps à jouir en paix d’institutions libres dont ses souverains se sont montrés les premiers gardiens. Ce qui vient de se passer à Lisbonne ressemble étrangement en effet à un coup d’état dont il est difficile de saisir les causes et d’apprécier la portée. Le ministère, assumant une responsabilité toujours grave, a provoqué la promulgation dictatoriale d’un décret-loi qui modifie essentiellement l’organisation politique du pays en diminuant le nombre des députés. Une vive émotion populaire n’a pas manqué de se produire aussitôt, des meetings se sont rassemblés, des manifestations tumultueuses ont rempli les rues de Lisbonne, et l’agitation a gagné le pays. Bref, le Portugal est en train de protester contre un acte inattendu d’absolutisme. Cela ira-t-il jusqu’à un conflit plus sérieux ? On entre évidemment ici dans une période de troubles où la popularité du roi ne sera pas de trop pour calmer les esprits, où la raison du jeune souverain saura sans doute faire la part de ce qu’il y a de légitime dans l’émotion publique. Le Portugal n’a point certainement marché à pas de géant dans la voie du progrès depuis vingt ans ; mais il était resté parfaitement libre et à peu près tranquille dans sa liberté, échappant aux réactions comme aux révolutions. Il serait malheureux qu’un coup d’autorité vînt altérer cette situation. Si c’est en imitant l’Espagne de cette manière, par la similitude du désordre et de l’agitation, qu’on veut marcher vers l’union ibérique, le moyen serait étrangement choisi, et ce ne serait pas la peine de doubler l’anarchie espagnole de l’anarchie portugaise.

CH. DE MAZADE.


ESSAIS ET NOTICES.

Le Poème de Lucrèce, — Morale, — Religion, — Science, par M. Martha.

La première remarque que je ferai sur cet excellent et charmant livre, c’est que Lucrèce y est étudié par un spiritualiste, et que cependant non-seulement les admirateurs de Lucrèce, mais ses disciples, ou plutôt les disciples de la philosophie qui l’inspirait, n’auront qu’à se féliciter de cette publication, et n’y trouveront à peu près rien dont ils puissent se plaindre. Je dis à peu près, parce qu’il y a une phrase, une seulement, que l’on voudrait effacer, au commencement de l’avant-propos. L’auteur, ayant annoncé que son admiration pour Lucrèce n’implique en rien une adhésion à sa doctrine, ajoute ce qui suit : « Comme ces doctrines contemporaines, qui rappellent l’entreprise de Lucrèce, sont fort célébrées, il nous paraît opportun et honnête de prévenir que nous n’avons aucun droit à la faveur dont elles sont en ce moment l’objet. » Cette ironie