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Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 80.djvu/83

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des transformations s’accomplissant avec une lenteur presque infinie. L’auteur français ne précise rien, il est vrai, quant au temps nécessaire pour obtenir une espèce nouvelle ; il se borne à répéter bien des fois qu’il s’agit de durées telles que nos âges historiques s’effacent devant elles. Le savant anglais, plus explicite, demande au moins mille générations, tout en déclarant que le chiffre de dix mille lui paraîtrait préférable. Qu’on juge des millions de siècles qu’à dû exiger dans cette hypothèse le passage d’un type à l’autre, la réalisation d’un animal, d’un végétal supérieur dont le premier ancêtre était quelque chose de moindre et de plus simple que la plupart de nos infusoires, que les spores de nos conferves ! Quelque considérables que soient ces nombres, si loin qu’ils rejettent les origines de la vie organique, ils ne m’effraient certainement pas. De plus en plus la science moderne peut affirmer que le monde est beaucoup plus vieux que ne le croyaient nos pères ; mais il faut bien reconnaître que dans l’immense majorité des cas ils nous rejettent fort au-delà des temps accessibles à l’expérience, à l’observation directe, et que par conséquent, pour une foule de questions, ils nous conduisent sur un terrain absolument différent de celui qu’exploitent avec tant de succès le physicien et le chimiste. En fait, Lamarck, Darwin et tous ceux qui marchent après eux se sont placés dans des conditions telles que leurs théories se trouvent à peu près absolument en dehors de tout contrôle. À quel titre serait-il permis de les assimiler aux doctrines qui chaque jour sous nos yeux en appellent à ce critérium, et permettent non-seulement d’interpréter, mais encore de prévoir des phénomènes ?

Ajoutons que, dans les cas fort rares où l’expérience peut être interrogée, elle ne paraît pas répondre en faveur des doctrines que j’examine. Les chiffres mêmes cités par Darwin permettent une objection que résout, il est vrai, la théorie de Lamarck, mais que me semble laisser subsister dans toute sa force la doctrine du savant anglais, quoiqu’il croie l’avoir réfutée. Depuis longtemps et surtout depuis qu’elle est facilement accessible aux Européens, l’Égypte nous a ouvert ses hypogées ; la science y a puisé largement. En comparant les espèces animales et végétales qu’on y a recueillies à celles qui vivent de nos jours, on n’a jamais trouvé aucune différence. Sur ce point, toutes les études faites par les botanistes aussi bien que par les zoologistes ont confirmé les conclusions de la commission chargée d’examiner les collections rapportées d’Égypte par Geoffroy Saint-Hilaire[1]. Voilà donc cinq ou six mille ans que ces espèces

  1. Annales du Muséum, t. Ier. — Ce rapport, fait par Lacépède, ne parle que des animaux. Pour les végétaux, on peut consulter entre autres le mémoire de Kunth dans les Annales des sciences naturelles, 1er série, t. VIII, et une lettre de Robert Brown dans le même recueil, t. IX.