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un développement nécessaire, elle implique seulement que des variations accidentellement produites dans une espèce quelconque se conservent sous de favorables conditions. » Ainsi cette sélection, forcément incessante et universelle, car la bataille de la vie ne s’arrête jamais ni nulle part, ces victoires des plus forts, des mieux doués, conservant, accroissant, accumulant de génération en génération les caractères de supériorité, n’ont à peu près constamment d’autre effet que de conserver ce qui est ! L’action modificatrice est subordonnée à un accident, et cet accident ne s’est pas produit une seule fois, que l’on sache, chez une seule des centaines d’espèces animales ou végétales recueillies sur les points les plus divers et qui ont traversé des milliers d’années, peut-être des millions de siècles ! Voilà ce que reconnaît ici Darwin, et il n’y voit pas même matière à difficulté. Que penserait-on, se borne-t-il à répondre avec M. Fawcett, d’un homme qui nierait le soulèvement du Mont-Blanc parce que la chaîne des Alpes n’a pas grandi depuis trente siècles ? La sélection, ajoute-t-il, n’agit également que d’une manière intermittente, par accident, tantôt sur une espèce, tantôt sur une autre, toujours très rarement ; rien de semblable ne s’est passé depuis les temps dont il s’agit, et voilà pourquoi la nature vivante ne fournit aucun fait en faveur de la théorie. — Il serait bien facile de discuter cette comparaison et l’application qu’en fait l’auteur non-seulement aux productions de l’immuable Égypte, mais encore aux nombreuses espèces qui ont subi les changemens de climats, les migrations admises par lui. Acceptons toutefois cette explication, restreignons autant qu’on le voudra la sphère d’influence de la sélection, qui semblait d’abord devoir être si vaste. Faisons remarquer seulement qu’en présence de ces résultats il est bien difficile de comprendre quelle raison peut conduire à regarder les variétés, les races actuelles, comme autant d’espèces en voie de formation.

Remontons maintenant au-delà de la période glaciaire, abordons les époques franchement géologiques. Ici s’ouvre devant nous l’immensité des temps écoulés. Je l’accepte avec toute l’extension que commandent les théories reposant sur une transformation lente, et que lui attribue Darwin. C’est donc par millions de siècles que nous allons compter. Trouverons-nous plus aisément ce fait décisif, mais nécessaire pour justifier la théorie, savoir : deux espèces bien distinctes reliées l’une à l’autre par ces mille ou ces dix mille intermédiaires dont il a été déjà question ? Non, répond Darwin lui-même, « la découverte à l’état fossile d’une pareille série bien graduée de spécimens est de la dernière improbabilité. » Certes on doit lui savoir gré de cet aveu, que n’eût probablement pas fait un homme d’une bonne foi moins parfaite, ou seulement emporté par l’esprit de système. Darwin n’a pu ignorer les résultats fournis à