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soin d’assurer lui-même imperturbablement au chef si intelligent du corps d’armée chargé de marcher en tête de l’expédition contre la Russie qu’il n’y avait absolument rien à redouter de l’esprit des populations germaniques, et que « l’Allemand, fût-il même aussi oisif, aussi fainéant, aussi assassin, aussi superstitieux, aussi livré aux moines que le peuple d’Espagne, n’était nullement à redouter. « Il y a plus ; il avait poussé l’illusion jusqu’à prédire à son second dans cette formidable aventure que, « s’il y avait un mouvement en Allemagne, il finirait par être pour nous et contre les petits princes de ce pays[1]. » Aujourd’hui c’était aux évêques députés à Savone qu’il allait s’adresser par l’entremise de son ministre des cultes ; mais, si différens que fussent du maréchal Davoust, par leurs fonctions et par leur caractère, les agens ecclésiastiques pour lesquels étaient dictées à M. Bigot de Préameneu les instructions qu’on va lire, Napoléon leur parlait exactement du même ton et s’adressait à eux dans le même style. C’était en effet le même incroyable orgueil qui troublait l’équilibre de ce prodigieux esprit quand il faisait parvenir aux uns comme aux autres l’expression chagrine et presque irritée de ses volontés impérieuses. Le bon sens, qui avait été l’une de ses plus éminentes facultés, ne gouvernait plus ce grand politique, autrefois si sagace, mais non moins gâté par les faveurs extraordinaires de la fortune que par les complaisances de son servile entourage. On eût dit qu’il était destiné à perdre du même coup, avec l’instinct des choses qui se pouvaient raisonnablement tenter, la mesure de celles qui se pouvaient raisonnablement écrire. Son langage, autrefois si noble, devenu peu à peu de moins en moins modéré, allait dorénavant se mettre de niveau avec ses actes, de plus en plus dépourvus de sagesse.


« Messieurs les députés, disait M. Bigot de Préameneu dans une note qui lui fut tout entière dictée par l’empereur, sa majesté a remis le bref du pape à l’examen d’une commission composée de ses ministres et de ses conseillers d’état, laquelle a recueilli aussi l’opinion des plus célèbres jurisconsultes. Après la plus ample discussion, il a été à l’unanimité décidé que le bref ne peut pas être accepté, 1° parce qu’il est injurieux à l’autorité de l’empereur et aux évêques de l’empire et du royaume d’Italie, et que, n’y eût-il que la seule irrégularité de ne pas reconnaître comme un concile national la réunion des évêques à Paris, ce serait une cause de rejet, les pontifes romains n’ayant jamais entendu contester à chaque souverain le droit de réunir ses églises pour en former un concile national ;… 2° la qualification donnée à l’église de Rome de « maîtresse de toutes les églises… » les expressions de « vraie obéissance » et

  1. L’empereur au prince d’Eckmühl, 2 décembre 1811. — Correspondance de Napoléon Ier, t. XXIII, p. 41.