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Prenez des mesures telles que cette congrégation soit dissoute[1]. » M. Bigot de Préameneu avait obéi, non sans quelque répugnance, on le croit, à cette injonction impérieuse ; mais il avait probablement fermé les yeux sur l’existence de quelques sulpiciens qui continuaient à enseigner dans les provinces. Le 22 novembre, il reçut de son maître le billet suivant : « Faites-moi connaître quels sont les séminaires qui sont desservis par les sulpiciens, afin de les éloigner également de ces séminaires[2]. »

Cependant une pensée soudaine avait traversé l’esprit de l’empereur pendant qu’il organisait avec tant de soins minutieux sa prochaine expédition contre le tsar Alexandre, et qu’il supputait un par un le nombre des conscrits qu’il pourrait mettre en ligne et entraîner à sa suite jusqu’au fond des steppes glacées de la Russie. Il en manquait à son compte. C’étaient les jeunes gens qui se destinaient à l’état ecclésiastique. Ne pourrait-on pas faire entre eux quelque distinction, continuer, par exemple, d’exonérer les séminaristes appartenant aux diocèses dont les évêques lui donnaient satisfaction, et englober dans son armée ceux qui avaient le malheur d’appartenir aux diocèses dont les titulaires étaient trop peu. complaisans pour lui, ou trop bien portés pour le saint-père ? Cela augmenterait le cadre de ses régimens, ce qui était loin de lui être indifférent, et puis cela servirait à la fois d’encouragement et de punition à qui de droit. Évidemment la chose était très bonne en soi*, cependant il ne faudrait pas qu’elle fut trop divulguée. Enchanté de son ingénieuse idée, Napoléon écrivit sur-le-champ à M. Bigot la lettre suivante, qui naturellement n’a pas trouvé place dans sa correspondance officielle.


« J’ai vu dans votre dernier travail des demandes pour exempter du service militaire deux cent trente-neuf étudians qui se destinent à l’état ecclésiastique et pour la nomination de cent quarante-huit bourses dans les séminaires. J’ai rayé parmi ces demandes toutes celles qui étaient relatives aux évêchés de Saint-Brieuc, de Bordeaux, Gand, Tournai, Troyes et des Alpes-Maritimes (le diocèse de M. Miollis, frère du général), parce que je ne suis pas satisfait des principes que manifestent les évêques de ces diocèses. Mon intention est que vous ne me proposiez pour ces diocèses aucune exemption de service pour les conscrits, aucune nomination à des bourses, à des cures, à des canonicats. Vous me ferez un rapport sur les diocèses qu’il conviendrait de frapper de cette interdiction. Cette manière d’opérer doit être tenue très secrète. Quand les évêques insisteront sur les nominations, vous leur ferez connaître que j’ai refusé

  1. Lettre de l’empereur au comte Bigot de Préameneu. Utrecht, 8 octobre 1811. — Correspondance de Napoléon Ier, t. XXII, p. 503.
  2. Ibid., Saint-CIoud, 22 novembre 1811, t. XXIII, p. 29.