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moindres titres de noblesse de ses œuvres. On vit alors un spectacle peu ordinaire : un chef d’orchestre mettant une pièce à l’étude en dehors de tout intérêt matériel, malgré les appréhensions du directeur, par pure conviction d’artiste, persuadé qu’à force d’entrain il ferait sentir au public les beautés dont il était pénétré. M. Liszt avait compris Lohengrin d’inspiration ; il dirigea les répétitions avec une ardeur et une fougue que se rappellent encore ceux qui le virent à l’œuvre ; pendant plusieurs mois, il y consacra toute son énergie, il fit passer son feu dans l’orchestre et dans les acteurs. Aussi l’exécution fut-elle admirable, le succès éclatant. Joué pour la première fois à Weimar le 28 août 1850, jour anniversaire de la naissance de Goethe, Lohengrin fut salué par un enthousiasme inespéré qui touchait au délire. Dans cette circonstance, le public n’avait pas imposé son caprice aux maîtres, ce furent les maîtres qui imposèrent leur art au public et le lui firent accepter. Ne devrait-il pas toujours en être ainsi ? Quand l’art dégénère, la faute en est aux artistes. Presque toujours leurs concessions aux frivolités de la mode ne sont que lâcheté. On a beau dire, le grand et le vrai s’imposent toujours à la foule, pourvu que les interprètes y croient de toutes leurs forces.

A partir de ce jour, les œuvres de Richard Wagner triomphèrent, des résistances du public allemand. Ses adversaires, il est vrai, l’attaquèrent de plus belle ; mais en attendant Tannhäuser et Lohengrin faisaient le tour de l’Allemagne. Ils se sont maintenus au répertoire de tous les grands théâtres de ce pays, et ont acquis une popularité universelle. D’autre part, les écrivains les plus indépendans encourageaient le hardi novateur qui s’était fait le champion du drame musical, c’est-à-dire de la vérité dramatique dans l’opéra. M. Adolphe Stahr fut un des premiers à reconnaître les mérites du poète-compositeur, il les proclama hautement dans son livre : Weimar und Iena (1852), avec cette hardiesse d’initiative et cette générosité d’esprit qui le caractérisent. Plus tard, M. Richard Wagner obtint le suffrage d’autorités musicales comme MM. Ambros, Marx et Brendel. Des musiciens distingués, MM. Hans de Bulow et Joachim Raff, se groupèrent autour de lui, et les plus grands artistes de la scène lyrique, tels que M. et Mme Schnorr de Karolsfeld, devinrent ses disciples passionnés.

Nous ne dirons rien de Tristan et Iseult, représenté en 1865 à Munich, et si merveilleusement interprété par M. et Mme Schnorr, ni de la Walkirie et de Siegfried, qui n’ont pas encore été joués, si ce n’est qu’au point de vue poétique ces œuvres sont supérieures aux précédentes, et qu’au point de vue musical l’auteur y est allé vaillamment jusqu’au bout de tous ses principes. Dans sa dernière