Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 80.djvu/987

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« EVA, se lève en colère. — Oui ! Il le trouvera ailleurs que chez vous, pédans envieux que vous êtes ! Il le trouvera là où les cœurs brûlent encore d’un feu généreux en dépit de tous les maîtres sournois ! » </poem>


On le devine aisément, maître Sachs n’a médit du chevalier que pour mieux sonder le cœur d’Eva. Il est vrai que sous ses cheveux grisonnans le poète, encore plein de verdeur, cache un faible pour la ravissante enfant, la perle de Nuremberg. Toute petite, il la portait dans ses bras, il l’a vue grandir, il lui a enseigné tout ce qu’il savait de bon et de beau, et l’a toujours aimée, choyée, gâtée, comme une fille adoptive. C’est une de ces affections de père qui renferment un grain de passion ; mais le vaillant maître ne songe même pas à se l’avouer, et maintenant qu’il sait où souffle le vent, il se décide gaîment à prendre en main la cause de Walther.

L’aventure menace toutefois de prendre une tournure plus grave. Walther s’avance dans la rue ; Eva, fidèle au rendez-vous, s’élance vers lui. Las de tergiversations et de compromis, exaspéré contre les maîtres, le jeune homme a pris un parti énergique ; il veut enlever sa fiancée loin de cette ville de pédans et l’épouser dans son château. Eva se jette dans ses bras sans hésiter. Ils vont fuir ; mais les amans ont compté sans maître Sachs. Le cordonnier a tout vu ; il entr’ouvre légèrement son volet et fait tomber un rayon de lumière sur les amans, qui reculent effrayés. Au même instant, Beckmesser arrive du fond de la rue et fait entendre le son de sa guitare. Le greffier se flatte de gagner le cœur d’Eva par une sérénade nocturne. En apercevant le malencontreux critique, Walther tire son épée et veut s’élancer sur lui. Eva, qui craint un scandale, ne parvient qu’à grand’peine à calmer son ravisseur impatient. Enfin elle l’entraîne sous le tilleul sombre, où les amans attendent l’issue de la scène.

En apercevant Beckmesser, Sachs, saisi d’une idée subite, rouvre sa porte et place son escabeau dans la rue. Au moment où le greffier s’apprête à chanter, Sachs frappe à grands coups de marteau sur une paire de souliers qu’il est en train d’achever et entonne d’une voix de stentor une chanson humoristique de sa façon. Alors le greffier piqué, hors de lui, trépignant de colère chante à tue-tête sa prosaïque sérénade, qui est d’un comique achevé.

Cette cacophonie burlesque met aux fenêtres les voisins qui, furieux d’être troublés dans leur sommeil, accablent d’injures le chanteur importun. David l’apprenti est descendu, il s’imagine que le greffier en veut à Madeleine, tombe sur lui à bras raccourcis, et d’un solide gourdin fait voler sa guitare en éclats. Les voilà aux prises. Les voisins accourent et veulent les séparer. — Est-ce que ça vous regarde ? — crient de nouveaux arrivans, et les voisins