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se perdre dans les profondeurs de la basse, tandis que le cor répète deux fois comme une douce question trois notes rêveuses du prélude de Walther. On croit voir s’esquiver en serpentant la ronde folâtre de lutins et de fées et s’évanouir sa trace lumineuse comme un essaim de lucioles, pendant qu’un sylphe attardé se penche sur Eva et murmure le nom mystérieux du bien-aimé à la jeune fille qui s’endort. La musique a de ces magies ; seize mesures lui suffisent pour faire passer sous nos yeux toutes les féeries d’Obéron et de Titania.

À cette nuit bruyante et fantastique succède un jour radieux. Au troisième acte, nous sommes dans l’intérieur de Sachs. L’atelier a pris un air de fête, tout est en ordre, la table reluit, les modestes fenêtres garnies de pots de fleurs tamisent le soleil du matin. Le maître est assis dans un grand fauteuil ; il tient un in-folio ouvert sur ses genoux et parait plongé dans sa lecture. David, qui entre en frétillant de joie parce que Madeleine lui a donné fleurs et rubans, a beau tourner autour de lui, l’interpeller par son nom, à voix basse, à haute voix, il ne bouge pas, si bien que l’apprenti inquiet se croit en disgrâce et demande d’une voix suppliante le pardon de ses méfaits nocturnes. Pour toute réponse, le maître ferme son in-folio à grand bruit, et l’apprenti effrayé tombe à genoux. « Le sermon va venir et la courroie par-dessus le marché, » pense David ; mais le maître a l’air de revenir d’un autre monde, son front est serein, sa voix amicale, il fait réciter à son élève le verset du matin, et l’envoie s’habiller pour la fête. Maître Sachs est un vrai philosophe. Quand il vient de lire dans la Chronique du monde (Wellckronik), quand il a médité sur les destinées humaines, il est doux comme un agneau, il comprend tout et ne se fâche de rien. Resté seul, il achève sa méditation, qui nous ouvre une échappée sur le fond de cette âme mâle et placide. Repassant dans sa mémoire les événemens de la nuit, il se demande quel démon a excité les uns contre les autres les paisibles citoyens de sa chère ville de Nuremberg. — C’est l’antique folie, dit-il, c’est l’éternelle illusion, sans laquelle rien ne réussit et qu’il ne s’agit que de maîtriser. Après la folle nuit vient le jour ! Voyons comment Hans Sachs s’y prendra pour faire sortir de cette heure de folie quelque chose de grand ? »

À ce moment, Walther entre dans l’atelier. — Prenez courage, lui dit Sachs, et composez-moi un chant de maître ! Walther sourit ; il ne croit pas à une réconciliation avec l’école, et n’en veut plus entendre parler. Sachs n’est pas de cet avis, et lui promet la victoire pourvu qu’il plie son inspiration à une forme plus sévère. — Comment m’y prendrais-je ? — Racontez-moi votre rêve du matin. — Ce rêve, comme tous les rêves, est une vision vague, mais d’autant plus délicieuse. Walther s’est vu transporté dans un jardin