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ni refroidir le zèle de ceux qui ont passé au pouvoir ou qui aspirent à y arriver ; mais à ce prix, — la possession de toutes les vertus, — combien est-il de gouvernemens qui auraient mérité ou qui mériteraient de vivre ! M. de Persigny nous paraît ressembler à un médecin qui dirait à son malade qu’il faut bien se porter. Il aura sans doute d’autres recettes à communiquer au prochain conseil privé.

C’est parce que malheureusement jusqu’ici ni peuples ni gouvernemens n’ont pu mettre la main sur cet oiseau bleu de « toutes les vertus » qu’on a justement imaginé ces régimes pondérés qui sont une garantie contre les petites vertus, qui ne livrent pas la destinée de tous à la volonté d’un seul ou de quelques-uns, qui empêchent les erreurs irréparables, qui font enfin sortir la loi du choc libre des opinions et des intérêts, de ces discussions parlementaires dont M. de Persigny se montre si naïvement effrayé. M. de Persigny a horreur des Démosthènes, qui ne lui semblent bons à rien, et il ne se console des élections françaises que parce que le suffrage universel a failli en laisser quelques-uns sur la place. Il ne s’agit pas précisément aujourd’hui de tirer l’histoire par les cheveux pour exhiber Philippe de Macédoine et Démosthène ; il s’agit de la liberté dans les institutions, de cette liberté qui est le droit des peuples et qui est une sauvegarde pour les gouvernemens eux-mêmes fondés sur ce principe. Ces gouvernemens-là n’ont pas sans doute plus que les autres toutes les vertus ; il en est du moins qui font grandement leurs affaires, et l’avantage qu’ils ont, c’est de ne rien brusquer, de préparer les esprits aux transitions les plus difficiles, à la solution des problèmes les plus épineux. Qu’on nous permette une hypothèse fort gratuite : supposez qu’il y eût en Angleterre un gouvernement paternel, doué de « toutes les vertus, » selon l’idéal de M. de Persigny, et que ce gouvernement, dans une inspiration de sa souveraine justice, eût décidé du soir au lendemain l’abolition de l’église d’Irlande ; il est infiniment vraisemblable que toutes les passions se seraient soulevées, qu’on en serait bientôt venu aux mains entre Irlandais et anglicans. Depuis un an au contraire, la question se discute de toute façon ; elle a été cent fois agitée dans la presse, dans les chambres, dans les meetings ; elle a été soumise au pays dans les élections, et aujourd’hui, après avoir passé par toutes ces épreuves, elle touche à sa solution par l’effort de toutes les volontés, par la puissance de la délibération publique. Elle ne ressemble pas, il est vrai, à un coup de théâtre, elle n’est pas un don improvisé de la faveur souveraine, elle est la conquête de la raison universelle. Et croit-on que ce fût facile, qu’il n’y eût rien de plus simple que d’imposer une telle révolution, si juste qu’elle fût, au sentiment anglais ? Non certes, il a fallu combattre pas à pas, chercher des transactions, préparer la réalisation pratique de cette grande mesure, qui a été la raison d’être du ministère de M. Gladstone, et ce n’est que tout récemment que le bill sur