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caractère qu’ils ne se trouveront point. C’est un attribut qui tient le milieu entre nos facultés sensitives et nos propriétés animales. Il en impose presque toujours aux premières en faveur des dernières. Je le crois peu compatible avec le bon cœur, et je crois que les anges seuls peuvent allier la vertu avec un caractère entièrement décidé. »


Le marquis, on le voit, est disposé à parler du caractère en homme qui n’a pas su utiliser le sien. Il est incontestable, comme il le dît, que ce sont souvent les plus petits hommes et les plus méprisables qui, à force de souplesse ou de ténacité impudente, l’emportent sur les talens et les vertus ; mais il ne s’ensuit pas qu’on ne puisse avoir un caractère qu’à la condition d’être un égoïste à idée fixe, résolu d’atteindre à tout prix et par tous les moyens ce qui fait l’objet de son désir. C’est précisément l’ambition rentrée et déçue du marquis qui le porte à restreindre au sens le plus fâcheux et le plus étroit la signification du mot : « caractère, » et c’est Mme de Rochefort, plus désintéressée dans la question, qui va fort justement rendre à cette expression toute son étendue.


« Vous définissez très bien le caractère, répond-elle, c’est une qualité, ce n’est point une vertu ; mais je n’entends pas bien pourquoi vous croyez le caractère peu compatible avec un bon cœur, car l’idée que je me forme du caractère est la persistance dans son sentiment sans aucune opiniâtreté réfléchie, ce qui me paraît bien plus appartenir à une âme sensible qu’à une âme froide. Les dernières ne font que des gens systématiques, ce qui me paraît un caractère fâcheux : ce sont des têtes dures et non pas des âmes fermes. Enfin tout caractère donné par la nature me paraît fondé sur le sentiment. Approfondissez mon idée, vous trouverez mille bonnes raisons à m’en rendre, ce qui me sera fort commode et fort agréable, car je me trouverai, ainsi que l’autre jour dans la conversation, le mérite d’avoir tout dit, tout pensé, tout prévu. Adieu, mon maître, ma paresse doit à votre esprit une reconnaissance passée, présente et future… »


Un métaphysicien galant se serait empressé de changer d’avis ; mais le marquis de Mirabeau est un métaphysicien entêté. Il commence cependant par définir le caractère mieux encore que la première fois, en disant que « c’est une certaine décision de la volonté, une disposition fixe et constante qui ne part ni de l’âme, ni du cœur, ni de l’esprit, mais qui les assujettit tous. » Seulement il tire de sa définition toute sorte de conséquences forcées et arbitraires pour prouver que le caractère n’est compatible ni avec l’originalité ni avec la bonté. Comme dans un passage de sa réponse Mme de Rochefort lui avait décoché un argument ad hominem en lui disant : « votre originalité bien reconnue n’est-elle pas la preuve