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Quant à M. de Nivernois, on peut s’étonner qu’avec cette circonspection gracieuse qui le caractérise il ait eu des ennemis ; il en eut cependant, et qui profitèrent des mauvaises chances de sa destinée d’ambassadeur pour déprécier sa capacité. Sa seconde ambassade en effet, celle de Prusse, fut stérile en résultats, parce qu’elle était trop tardive. La troisième, celle d’Angleterre en 1762, quoique très laborieuse, n’eut pour effet que de lui infliger une sorte de responsabilité dans un traité humiliant, il est vrai, mais forcé par les circonstances, sans qu’on lui tînt compte des adoucissemens que son habileté conciliante avait contribué à obtenir en faveur des vaincus. Son succès personnel avait été très grand à Londres, assez grand pour que Walpole, qui n’est pas le moins dédaigneux des Anglais, ait dit à ce sujet : « Ils nous ont envoyé, je crois, ce qu’ils avaient de mieux. » Le même Walpole répète néanmoins un mot très méchant, attribué à Mme Geoffrin, disant du duc de Nivernois : « Il est manqué de partout : guerrier manqué, ambassadeur manqué, homme d’affaires manqué, auteur manqué, homme de naissance manqué. » Walpole proteste seulement contre ce dernier article ; il reconnaît toutefois que Nivernois a sa part de mérite, et, comme écrivain, il le place au sommet du médiocre (at the top of médiocre). En écartant la méchanceté dans le propos de Mme Geoffrin, il reste ce fait évident, que le duc de Nivernois est resté en seconde ligne dans toutes les régions où s’est exercée son activité. Pour ce qui est de la politique, il n’avait ni les qualités ni les défauts qui peuvent faire réussir les ambitieux. Il avait de plus une détestable santé, ce qui, ainsi que le fait observer avec raison M. Sainte-Beuve, explique bien des choses ; mais on lui doit cette justice qu’il proportionna toujours ses prétentions à ses facultés, et que, s’il ne fut le premier nulle part, loin d’être manqué, comme le dit Mme Geoffrin, il fut distingué partout.


IV

Si M. de Nivernois n’a pas obtenu dans d’autres sphères le premier rang, il l’occupe incontestablement dans le salon de Mme de Rochefort, et quoique Walpole n’ait vu ce salon qu’en passant, il ne se trompe que pour certaines nuances, à la vérité assez importantes, quand il écrit en 1766 : « M. de Nivernois vit dans un petit cercle d’admirateurs subordonnés, et Mme de Rochefort, qui est la grande-prêtresse, a pour salaire une petite part de crédit. » Parmi les anciens amis de Mme de Rochefort, il en est un bon nombre qui ne sont nullement dans la dépendance du duc de Nivernois. Nous n’en pouvons pas dire autant du marquis de Mirabeau, quoiqu’il