Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 81.djvu/156

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vie actuelle. Je vous prie donc très fort, ma douce amie, de peigner à la turque mon gros Merlou, s’il ne retrouve pas la liberté de sa respiration… M. de Nivernois a été mieux depuis que je vous ai écrit ; mais hier matin il n’était pas bien, et cependant il fallait aller dîner à Paris. Heureusement le soir il comptait aller à Pontchartrain, d’où il compte revenir demain. J’espère que cette course lui aura fait du bien. La diversion est une très bonne chose pour les nerfs ; aussi avais-je fort opiné pour ce voyage… Notre château sera bien brillant la semaine prochaine. Tous les Maurepas seront ici et toute la famille réunie. Actuellement nous sommes dans la solitude absolue, ce que je trouve fort doux, surtout parce que cela me donne le temps de causer avec ma douce amie. »


Il fallait du reste que Mme de Pailly eût une rare puissance de séduction, puisque, indépendamment de l’attachement aussi profond que durable qu’elle inspira au marquis de Mirabeau, elle conquit non-seulement la mère de celui-ci, catholique austère qui s’arrangeait de cette protestante, non-seulement Mme de Rochefort et le duc de Nivernois, mais presque toute la société du Luxembourg, où elle figure avec distinction pendant plus de dix ans. A la vérité les mêmes causes qui refroidirent les rapports du marquis de Mirabeau avec le duc de Nivernois agirent plus fortement encore sur la situation de Mme de Pailly. Le grand monde d’alors était ainsi fait que, tant qu’il n’y avait pas scandale, l’irrégularité des situations ne comptait point, bien que parfaitement connue ; mais un procès et des mémoires injurieux communiqués au public suffisaient pour changer radicalement l’état des choses, et à partir de 1775 nous ne retrouvons plus Mme de Pailly dans les réunions du Luxembourg.

Toujours est-il que la longue intimité des deux amis du Bignon avec les deux amis de Saint-Maur peut aisément faire supposer qu’il y avait quelque analogie entre ces deux amitiés-là. Cette supposition est confirmée par quelques lignes très expressives empruntées non plus à la correspondance de Mme de Rochefort, mais à celle du marquis de Mirabeau avec son frère le bailli. C’est au moment où le duc de Nivernois, en 1782, vient de se marier en secondes noces avec son amie. Le bailli de Mirabeau se trouve en ce moment en Provence, et en recevant de son frère cette nouvelle, il s’en explique avec une brusquerie un peu bizarre, qui prouve qu’il est préoccupé de l’idée que, si la marquise de Mirabeau venait à mourir avant son mari, celui-ci ne manquerait pas d’imiter le duc de Nivernois en épousant aussi Mme de Pailly. « Quant au mariage dont tu me parles, écrit-il, le 26 octobre 1782, il m’étonne par le peu de nécessité ; il avait été si longtemps achevé sans être commencé, et il a une si parfaite sûreté d’être sans fruit, qu’il ne fait que me