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son regard à la dérobée vers la France, pour savoir jusqu’où il peut aller. Le tout-puissant ministre prussien se livre à ce jeu d’équilibre avec une vigueur et une dextérité peut-être assez stériles, mais qui ne laissent certes pas d’offrir un spectacle curieux.

M. de Bismarck a eu l’autre jour à soutenir dans le parlement fédéral une de ces luttes toujours vives, toujours intéressantes, qui viennent de temps à autre exciter sa verve. Il s’agissait d’une motion de M. Twesten proposant la création d’un ministère responsable de la confédération du nord. Aujourd’hui le vrai et unique ministre de la confédération, c’est le chancelier, M. de Bismarck lui-même. Il se fait aider par des comités du conseil fédéral, qui, à côté du parlement populaire, se compose des représentans des gouvernemens, et forme une sorte de haute chambre, quelque chose comme le sénat américain. Ce conseil concentre en lui ce qui reste de l’autonomie, de l’indépendance locale des divers états. Il est aisé de saisir la portée de la motion de M. Twesten : la création d’un ministère responsable de la confédération était un pas de plus vers l’unification complète, une abolition virtuelle des gouvernemens fédérés, qui passaient immédiatement à l’état de commissaires du roi de Prusse. M. de Bismarck a combattu cette motion ; il l’a combattue assez pour ne se laisser imposer que ce qu’il voulait accepter, c’est-à-dire de simples auxiliaires, des secrétaires-généraux qui travailleront sous sa direction. En réalité, rien n’est changé ; mais ce qu’il y a de plus curieux, c’est le discours de M. de Bismarck, qui, au milieu de ses familiarités calculées et de ses hardiesses prudentes, a été obligé de convenir qu’on allait se jeter contre un écueil, que le ministère fédéral était une visible menace pour l’Allemagne du sud, et que l’Allemagne du sud n’était rien moins qu’unitaire. On s’est donc arrêté dans cette voie ; mais il fallait bien faire une diversion, se venger sur quelqu’un : on s’est vengé d’abord sur un officier de l’Allemagne du sud, qui s’est caché sous le nom d’Arkolay, et qui dans une brochure récente a mis indiscrètement à nu les faiblesses de l’hégémonie militaire de la Prusse ; puis enfin, comme il arrive invariablement depuis quelque temps, on s’est vengé sur l’Autriche. Le prétexte a été cette fois la publication faite par l’état-major autrichien d’un récit de la campagne de 1866, où l’on a inséré une dépêche télégraphique très intime, adressée de Nikolsbourg au moment de l’armistice par M. de Bismarck à M. de Goltz à Paris. Quel mal peut faire à M. de Bismarck la publication de cette dépêche, devenue un document historique ? On ne le voit guère ; mais le ministre prussien a peu de goût pour ces divulgations, il n’aime pas les livres bleus ou rouges, qu’il vient de traiter fort irrévérencieusement, et il y a eu tout d’un coup à Berlin une recrudescence de polémiques violentes contre l’Autriche et M. de Beust. Il en résulte que, toujours en brouille avec l’Autriche, gagnant peu du côté de l’Allemagne du sud, timidement appuyée par la Russie, surveillée par la France, ne pouvant plus compter sur l’Italie, la