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quelques imaginations égarées ; cette tentation est décevante. La société de la révolution ne sera point vaincue, on peut l’affirmer sans hésiter ; il n’y a que les ennemis du christianisme qui puissent souhaiter de le voir se livrer à une aussi chimérique entreprise.

M. Guizot accepte entièrement le principe de la discussion libre et tous les autres principes de la société moderne. Il veut que le christianisme s’arrange pour vivre au sein de cette société, sache s’y faire sa place, qu’il en accepte les conditions librement et de bon cœur. En revanche, il demande à la société moderne d’accepter le christianisme, non pas comme un joug qui s’impose par l’autorité, mais comme une lumière, comme une force à laquelle l’âme se soumet librement. En un mot, c’est à l’examen qu’il en appelle, et il s’engage, au nom du christianisme, à avoir raison. Il est évident que l’esprit moderne, quand on ne lui conteste pas ses principes et ses droits, n’a aucune raison de se refuser à l’examen qu’on lui demande. Tant qu’il peut croire que c’est sa ruine que l’on exige, il se refuse à tout entendre, comme un peuple ne consent point à traiter avec qui ne commence point par reconnaître son indépendance ; mais dès que l’on accepte de part et d’autre les conditions libres de la discussion, le débat est possible, il est légitime, il est nécessaire. Or M. Guizot croit pouvoir établir démonstrativement ces trois propositions qui composent toute son apologétique chrétienne. Il y a des problèmes naturels et universels qui se posent nécessairement dans toute âme humaine ; — la science ne résout pas ces problèmes ; — la religion, c’est-à-dire le christianisme, les résout. Telle est dans ses traits essentiels la pensée fondamentale de M. Guizot, et il faut reconnaître qu’elle est conçue avec une vigueur et une précision dignes de cet éminent esprit.

Quels sont ces problèmes, aussi vieux que l’humanité, aussi répandus qu’elle sur la surface du globe, problèmes que se pose inévitablement chacun de nous aussitôt qu’il commence à penser ? C’est l’origine et la destinée de l’homme, l’origine et la fin de l’univers ; c’est la liberté et la Providence, et leurs rapports ; c’est le mal, c’est le salut. Pourquoi la douleur ? pourquoi la prière ? pourquoi tant de misère, pourquoi tant de grandeur ? De tels problèmes ont toujours existé jusqu’ici. Existeront-ils toujours ? Il est des écoles qui ne le pensent pas. L’école positiviste, par exemple, croit qu’il n’y a pas lieu de les poser, parce que nous n’avons aucun moyen de les résoudre. Il faut déraciner ces problèmes de son cœur pour se borner à l’étude du monde tel qu’il est ; mais en même temps qu’on croit les écarter comme insolubles, on les tranche néanmoins