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sous la protection des Turcs pour continuer à assouvir leurs vengeances aux dépens de la cause serbe. Comme dernier vœu, la skouptchina réclamait le rappel de Milosch. Sur ce point, le prince Michel répondit que « le retour de son père dépendait de la Porte-Ottomane, non de sa volonté propre. « Il agréa les deux autres demandes, se déclarant tout disposé, en ce qui le concernait, à se conformer aux désirs de l’assemblée. Les régens refusèrent avec hauteur : ils n’avaient pas de comptes à rendre et entendaient maintenir le gouvernement à Belgrade. Dès que cette réponse fut connue, plusieurs milliers d’hommes parurent en armes sous les murs de Belgrade, résolus à obtenir par la force les concessions demandées par l’assemblée du peuple. Le prince, pour les calmer, se porta de sa personne au milieu d’eux, accompagné du métropolitain, du consul russe et d’un commissaire ottoman. Toutes ses paroles furent inutiles. L’émeute bienveillante insista pour l’arracher à ses tuteurs ; il fallut qu’il partît pour Kragoujevatz, escorté par la foule qui allait grossissant de village en village. Cet événement qui caractérise si bien la Serbie un an après la chute de Milosch s’appelle l’émeute du 6 mai 1840.

Installé à Kragoujevatz, le jeune prince est au cœur même de la contrée ; paysans et kmètes pourront désormais le défendre. C’est précisément ce que ne voulaient pas ses tuteurs. Obligés de fuir devant l’émeute serbe, Voutchitch et Petronievitch se retirèrent dans la forteresse de Belgrade, d’où ils adressèrent une plainte à Constantinople. C’était le prince Michel, disaient-ils, qui avait provoqué cette révolte pour se soustraire aux conditions du bérat impérial. La Porte envoya aussitôt à Belgrade un commissaire chargé de faire une enquête et de rétablir le gouvernement. C’était un diplomate renommé, Moussa-Effendi, homme de sens et de vigueur ; il dut s’incliner devant l’opinion. La skouptchina, consultée par lui, déclara que le prince Michel avait agi légalement, et demanda l’exil des deux régens. Il y avait là une première revanche contre les usurpations de la Porte. Condamnés par la voix du peuple, ceux-ci quittèrent la Serbie, emmenant une quarantaine de leurs partisans ; où allaient-ils ? A Constantinople avec Moussa-Effendi. Nouvel exemple des difficultés sans cesse renaissantes contre lesquelles le jeune état serbe était obligé de se défendre. En 1839, c’était en Russie que les conspirateurs trouvaient un refuge ; en 1840, c’est auprès de la Porte. Pressés entre le protecteur et le suzerain, les Serbes ont eu besoin de la persévérance la plus obstinée, du sens politique le plus droit, pour obtenir l’indépendance qu’ils possèdent aujourd’hui, et préparer leur avenir.

Une fois débarrassé de la surveillance ottomane, le jeune prince, revenu à Belgrade, s’occupa des réformes intérieures. Il avait pour