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rendre les honneurs militaires. Satisfaction était donnée au droit des gens ; mais le principe du mal persistait toujours. De tels faits auraient été impossibles, si la présence d’un gouverneur turc, non-seulement dans la forteresse, mais dans un des quartiers de Belgrade, n’eût amené des conflits de juridiction entre la Porte et le gouvernement serbe. C’était à la justice serbe de punir un crime commis en pays serbe ; au lieu de cela, le gouverneur de la forteresse réclamait l’accusé, qui souvent demeurait impuni. On cite plus d’un fait de ce genre sous le règne de Kara-Georgevitch. L’attentat du 7 juin 1858 était d’une nature si grave que M. Garachanine réussit cette fois à faire comprendre au prince quelle responsabilité il assumait devant l’Europe comme devant le peuple serbe en tolérant une situation d’où provenaient de tels désordres. Milosch n’avait cessé de protester contre la violation du hatti-chérif de 1830 ; le mal s’accroissant toujours, était-ce le moment de garder le silence ? Que le prince s’adressât du moins à l’opinion publique, qu’il fît partager aux représentans du peuple cette responsabilité trop lourde pour un seul homme, voilà ce que le bon sens exigeait. Ces argumens de M. Garachanine triomphèrent de la résistance ou, si l’on veut, de l’inertie obstinée de Kara-Georgevitch. Il fut décidé que la skouptchina serait convoquée d’après une nouvelle loi électorale qui régulariserait la vieille coutume nationale.

Cette loi, votée par le sénat au mois de novembre 1858, établissait tout un système représentatif ; nous en citerons les dispositions fondamentales. « Tout Serbe est électeur à l’âge de vingt-cinq ans, éligible à trente. Les ecclésiastiques et les employés ne sont ni électeurs ni éligibles. L’élection est directe dans les campagnes, à deux degrés dans les villes. Les députés sont les représentans, non d’une localité, mais de l’ensemble de la nation. Font partie de droit de l’assemblée les présidens de la cour de cassation, des tribunaux d’appel et de cercle, les archiprêtres des cercles, quatre archimandrites des couvens et quelques autres hauts fonctionnaires. Les députés sont inviolables pendant la session, et on ne peut les rendre par la suite responsables de leurs votes. Le vote est public. L’assemblée délibère sur les propositions du gouvernement ; elle a aussi le droit d’initiative. Ses décisions ne sont valables que lorsqu’elles ont été sanctionnées par le sénat et par le prince. L’assemblée nomme son président et le reste du bureau[1]. »

Les événemens marchent dès-lors avec une rapidité singulière. En vain la Porte-Ottomane essaie-t-elle de protester contre la réunion de la skouptchina, en vain envoie-t-elle un commissaire à Belgrade pour surveiller les événemens ; la nation veut être représentée, elle

  1. Nous empruntons ce résumé à l’Annuaire des Deux Mondes, t. IX, p. 725.726.