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ne se faisait pas faute de se régler sur l’exemple que donnait la famille princière. Le lieu où se nouaient et se dénouaient les intrigues était le palais de Nymphembourg, dont Pöllnitz nous vante avec emphase les agrémens. Trois fois par semaine, durant l’été, l’électrice y recevait grande compagnie. Pendant que des tables dressées dans les galeries du palais retenaient les joueurs autour de leurs tapis verts, d’autres divertissemens étaient offerts à ceux qu’attirait dans ces mêmes lieux l’attente d’émotions plus douces. Des gondoles pavoisées d’étoffes brillantes étaient amarrées au bord d’un lac que la main de l’homme avait creusé. Parfois l’une de ces gondoles se détachait du rivage et glissait silencieusement sur l’eau, entraînant au loin un couple amoureux de la solitude. De légères voitures, disposées pour recevoir seulement deux dames et deux cavaliers, attendaient aussi tout attelées, et deux poneys emportaient bientôt dans les profondeurs obscures du parc ceux et celles qui y avaient pris place. Gondoliers et promeneurs se réunissaient pourtant à heure fixe autour d’un magnifique souper. Souvent la nuit se terminait dans les danses, et suivant une mode alors très en faveur on continuait sous le masque le roman commencé sur les eaux du lac ou à l’ombre des bosquets.

Pendant qu’on se divertissait ainsi à la cour, les misères et les souffrances du peuple étaient poussées à la dernière extrémité. De fréquentes famines dévastaient le territoire ; mais le gouvernement de l’électeur s’en inquiétait peu, et ne prenait, de son propre aveu, aucune précaution pour en prévenir le retour. On avait découvert un moyen radical de combattre le fléau. On construisait de grands radeaux sur le Danube, et on y embarquait de gré ou de force un nombre plus ou moins grand d’habitans, puis on les abandonnait au fil de l’eau ; l’Autriche recueillait ces malheureux et les incorporait dans ses armées, où il y avait, disait-on, plus de soldats bavarois qu’il n’en fallait pour conquérir tout l’électorat. Le ministre des finances ne s’en applaudissait pas moins d’avoir trouvé cet ingénieux expédient. Des réformes que les états voisins se préoccupaient déjà d’introduire dans leurs lois et leurs institutions, il n’était pas question à Munich. La torture, qu’on était à la veille d’abolir en France, demeurait encore l’unique moyen d’instruction criminelle. Qu’un philanthrope étranger recommandât au premier ministre la lecture du chapitre de l’Esprit des lois où Montesquieu s’élève contre cette coutume barbare, le ministre répondait qu’il avait bien entendu parler de ce livre, mais qu’il n’aimait pas les « esprits forts. » On n’était en effet rien moins qu’esprit fort en Bavière. Pendant qu’il n’était bruit dans le peuple que d’un certain Gassner, qui exorcisait le diable pour le plus grand bien des sujets de