Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 81.djvu/434

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

autres billets fort tendres ne laissèrent à Elliot aucun doute sur l’outrage qu’avait subi son honneur. Sur-le-champ il écrivit à Kniphausen une lettre des plus hautaines où il prenait soin de l’avertir qu’obligé de retourner à Copenhague pour veiller à l’installation de sa fille il ne serait pas longtemps sans lui donner de ses nouvelles. Cette même nuit, Elliot franchissait de nouveau les portes de Berlin. Au chef du poste qui, refusant de le laisser sortir, lui demandait son nom, il répondit à haute voix : Elliot, ministre plénipotentiaire de sa majesté le roi d’Angleterre à la cour de Copenhague, et il profita de la stupéfaction de l’officier pour s’éloigner à toute bride.

L’aventure, comme on peut penser, fit du bruit. Le prince Henri, sous le toit duquel cette intrigue s’était probablement nouée, essaya de s’interposer ; mais la belle, irritée des procédés d’Elliot, déclara qu’elle n’aspirait qu’à une chose, divorcer avec lui pour épouser son cousin, ajoutant que, si le divorce n’était pas prononcé, il n’en serait ni plus ni moins qu’auparavant, et qu’au surplus Elliot n’avait depuis longtemps rien à perdre. Pendant ce temps, Kniphausen faisait le glorieux, hantait les salles d’armes, et ne parlait que de pourfendre ce mari importun. Néanmoins, quand au bout de quinze jours Elliot reparut à Berlin, Kniphausen jugea prudent de prendre la route du Mecklembourg. Elliot s’élança immédiatement sur ses traces. Après plusieurs jours de poursuites infructueuses, il s’arrêta un soir dans une auberge isolée au bord d’une grande route. L’hôte lui fit assez mauvais accueil et lui dit qu’il n’avait qu’à s’en aller, toutes les chambres ayant été retenues par un grand seigneur qui voulait être seul. Un secret pressentiment indique à Elliot qu’il a trouvé son homme. Il prend une canne d’une main, un pistolet de l’autre, une épée sous son bras, et se présente inopinément à la porte de la chambre où le beau Kniphausen se délassait des fatigues du voyage. Celui-ci refuse d’accorder sur-le-champ satisfaction à Elliot, qui, perdant patience, casse sa canne sur le dos de Kniphausen et se met ensuite à sa disposition pour le lendemain matin. Vain espoir : Kniphausen repart dans la nuit pour Berlin, où il va partout jetant les hauts cris et déblatérant contre Elliot, qui, dit-il, l’a fait tomber dans un guet-apens. Il faut les menaces d’un des parens de Kniphausen, qui parle de lui brûler la cervelle, pour le déterminer à affronter le combat. Sur le terrain, il pose une condition : si au cours de l’engagement, l’un des deux champions se tient pour satisfait, il aura le droit de le témoigner en portant la main à son chapeau. Kniphausen tire et manque. La balle d’Elliot effleure au contraire l’oreille de Kniphausen et va se loger dans un arbre à la hauteur de sa tête. Aussitôt Kniphausen porte la main à son chapeau. Il est satisfait, très