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que le roi accepte une si grave résolution sans prendre conseil, » et en même temps il s’efforça d’arracher aux mains du prince le projet de décret qu’il tenait déplié devant le roi. « Monsieur, s’écria fièrement ce conspirateur de seize ans, ce n’est pas à vous à donner des conseils au roi, c’est à moi, qui suis l’héritier du trône, et responsable devant la nation. » Vaincu par ce ton d’autorité, le roi signa. Les ministres se retirèrent, au comble de la colère, et sans la fermeté d’Elliot le sang aurait coulé le lendemain. Par une heureuse coïncidence, quelques vaisseaux de guerre anglais se trouvaient à l’ancre dans le port de Copenhague. Elliot déclara publiquement que, s’il y avait du trouble dans la ville, il ferait prendre terre aux équipages de ces vaisseaux, et que, se mettant à leur tête, il marcherait au secours du prince royal. La reine-mère comprit qu’elle avait affaire à trop forte partie. Elle, abandonna Copenhague et se retira dans son palais de Frederiksborg, dont elle ne devait plus sortir. Guldberg fut éloigné et Bernstorff mis à la tête des affaires. L’entreprise terminée, Elliot écrivit à son gouvernement pour lui rendre compte de sa conduite. Tout était pour le mieux. Le prince royal avait publiquement remercié Elliot, et il avait déclaré qu’il était à moitié Anglais. Elliot ne reçut donc que des éloges. Les choses eussent-elles tourné autrement, il aurait probablement subi l’affront d’un désaveu public. Il n’aurait pas été en droit de se plaindre, puisqu’il avait agi à l’encontre de ses instructions ; mais par sa hardiesse à les enfreindre il avait rendu à son pays un service signalé. Nous croyons les diplomates de notre âge trop bien dressés pour se rendre aussi utiles.

Cette promptitude de décision et cette indépendance d’allures qui marquaient l’originalité d’Elliot devaient, à quelques années de là, le signaler de nouveau à l’attention européenne, et nous allons admirer une seconde fois la façon singulièrement libre dont les diplomates de l’ancien régime en usaient avec leurs gouvernemens. En 1788, l’aventureux Gustave III, qui troublait le nord de l’Europe par ses manies guerrières et conquérantes, avait imprudemment tenté de profiter des embarras que des démêlés avec les Turcs causaient à la Russie pour reprendre sur elle les provinces anciennement ravies à la Suède. Un traité secret obligeant le Danemark à soutenir la Russie dans ses guerres avec la Suède, une armée danoise était entrée immédiatement dans les états de Gustave du côté de la Norvège. La situation du malheureux roi était critique. Le démembrement de la monarchie suédoise allait ravir à l’Angleterre un utile allié. Elliot vit le péril et résolut de le conjurer. Ses instructions portaient qu’il devait par tous les moyens s’appliquer à tenir égale dans le nord la balance des pouvoirs, rien de plus. Par le vague