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réalité ? Ne savons-nous pas que tous les corps sont des systèmes de molécules, que les molécules sont des systèmes d’atomes, qu’il n’y a de continuité véritable ni dans le cristal, ni dans la pierre, ni dans les tissus vivans ? Si l’œil humain ne pénètre point dans les méandres de la géométrie atomique, si nul microscope ne peut sonder ces infiniment petits, les phénomènes lumineux, calorifiques, chimiques, nous fournissent à chaque instant la preuve manifeste que ce que nous nommons la matière est composé de parties. Toute variation dans un corps correspond à des mouvemens de ces parties ; elles s’approchent, elles s’éloignent, se cherchent, se fuient. Comment concevoir qu’elles agissent les unes sur les autres ? L’attraction d’un atome sur l’atome voisin se fait à distance, absolument comme l’attraction d’un soleil sur un autre soleil. Faut-il supposer un vouloir inconscient dans ces petites monades ?

On explique, il est vrai, les actions moléculaires, qui sont des actions à distance, à l’aide d’un fluide intermédiaire qu’on appelle l’éther, fluide universel, condensé dans les corps, mais répandu aussi dans le vide qui sépare les planètes et les soleils. La physique repousse aujourd’hui l’hypothèse usée des fluides calorifiques, lumineux, électriques ; elle accepte encore le fluide éthéré. C’est sur cette mer sans rivages que passent incessamment les ondes qui, venant frapper notre planète, s’y convertissent en lumière et en chaleur. La lumière n’est plus considérée comme une matière lancée du soleil jusqu’à nos yeux avec une vitesse inouïe ; c’est un mouvement qui des atomes du soleil se transmet à l’éther infini, et que l’éther communique ensuite aux atomes terrestres. On ne croit plus au vide absolu ; quelque chose remplit le monde, porte la lumière de soleil en soleil, joint les pôles des grands corps célestes, et en transmet docilement les moindres oscillations. L’éther est-il une matière atténuée, impondérable ou du moins si légère qu’elle nous semble sans poids ? Conserve-t-il des qualités chimiques ? Est-il simple, est-il composé ? Autant de questions qu’il est presque oiseux de poser, parce qu’il est impossible d’y répondre. Nous ne le considérons en ce moment que comme le véhicule des actions moléculaires, comme un lien réel entre les atomes. Toutefois la présence de cette substance intermédiaire facilite-t-elle beaucoup l’explication des attractions, des répulsions ? On ne peut guère imaginer l’éther pareil à une sorte de bloc compacte, tout d’une pièce, sans flexibilité, sans mobilité propre. Si on suppose que des mouvemens intérieurs s’y puissent produire, il faut bien qu’il s’y trouve des parties séparées analogues à des molécules. Nous n’avons donc fait que reculer la difficulté, car il n’est pas plus facile d’expliquer comment une force se communique d’une partie à l’autre de la substance éthérée que d’un atome matériel à un atome matériel