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être vivant, une unité organique complète, une âme est présente. M. Hirn donne des âmes aux espèces animales les plus infimes, il en attribue même une à la plante. Il ne croit pas que la flamme qui anime l’homme soit d’une autre nature que l’élément inconnu qui vivifie les formes organiques des deux règnes. Le règne humain, créé par quelques naturalistes, lui semble une chimère de notre vanité. Il cherche à montrer que l’instinct animal confine à l’intelligence, que la bête est libre, qu’elle possède la conscience et la connaissance de ses actes ; elle sait aimer, haïr, elle connaît ces passions si humaines, l’orgueil, l’envie ; elle ne parle pas, mais elle use de signes, et les paroles ne sont après tout que des signes d’idées. L’animal a donc, suivant lui, une âme, non pas identique à la nôtre, mais analogue ; il y a des espèces parmi les âmes, comme les naturalistes en distinguent dans les formes organiques. Les différences spécifiques visibles correspondent à des différences animiques. L’âme d’un chien n’est pas la même que celle d’un chat ou celle d’un lièvre.

En dépit de certaines différences spécifiques, toutes les âmes animales sont toutefois de la même famille. Les âmes végétales du moins sont-elles d’une autre race, d’une autre essence ? M. Hirn croit retrouver dans les muettes espèces du monde végétal, dans les arbres, les fleurs, tous les attributs psychiques de l’animal, amoindris seulement et dans une sorte de sommeil. Il parle des plantes en poète plus qu’en naturaliste, leur accorde des instincts, une façon de volonté sourde et qui s’ignore, une espèce de sensibilité touchante et délicate. Peut-on les gratifier aussi de la mémoire, dont nous avons vu qu’il fait un attribut essentiel du principe animique ? La plante se souvient-elle, a-t-elle conscience du temps, du passé ? Sait-elle aujourd’hui quel vent remuait ses feuilles hier ? Rien qu’à poser ces questions, il semble qu’on entre dans le pur domaine de l’imagination. Ce qui est certain et digne de remarque, c’est que du moment qu’on attache l’âme et la vie par un lien des plus étroits, dès qu’on retire aux forces physiques et chimiques le pouvoir de régenter les phénomènes de l’organisation, on est forcé de mettre un principe spirituel partout où règne la vie la plus humble ; on n’a plus le droit de soustraire au surnaturel ni ces humbles animaux qui ne semblent pas avoir de vie individuelle, qui vivent en masses agglomérées, pareils aux grains de sable qui forment les rochers, ni les plantes, qui, comme les animaux, naissent, se développent, grandissent, dépérissent et meurent.

Quand on tient que tout être vivant doit la vie et la forme et ses caractères spécifiques à un principe animique spécial, il semble peu naturel d’admettre la transformation des espèces, car la façon dont Darwin et ses adeptes comprennent cette transformation ne