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le second empire. C’est pour la quatrième fois depuis dix-sept ans que le suffrage universel va parler. La première fois, en 1852, on ressentait la stupeur des événemens. C’était l’époque du repos et du silence, de l’abdication et de l’unanimité dans le corps législatif. En 1857, un léger souffle s’élevait déjà ; l’esprit public commençait à murmurer vaguement, et dans la chambre nouvelle entrait ce groupe des cinq personnifiant une renaissance de vie politique à peine sensible encore. On cessait de s’abstenir. En 1863, on se mettait à l’œuvre avec une vivacité croissante ; on rentrait dans une arène à demi entrouverte, et les cinq se multipliaient. L’esprit de discussion et de contrôle allait en se fortifiant. Aujourd’hui, dans ces élections de 1869, la lutte est partout vivante, animée, bruyante, tumultueuse. Ainsi d’étape en étape le mouvement a grandi et s’est accentué ; la France s’est remise en marche. Le gouvernement lui-même y a aidé quelquefois de son initiative ; les fautes ou les déceptions de la politique officielle n’y ont pas peu servi ; des hommes anciens ou nouveaux se sont rencontrés en même temps pour réchauffer le vieil instinct du pays, pour remettre en honneur les idées, les garanties, les conditions d’un régime libre. Le résultat est ce que nous voyons, — des élections où toutes les opinions peuvent se produire, même quand elles affirment qu’elles n’ont pas la liberté de se manifester. L’essentiel, il nous semble, serait de ne pas perdre l’esprit et de ne pas jouer l’avenir, un avenir inévitable et prochain, dans des aventures de fantaisie, au moment où on retrouve peu à peu les moyens de faire pénétrer dans la politique tous les progrès, toutes les réformes qui restent à réaliser.

C’est là le problème de ces élections dont nous approchons et de cette agitation qui grandit d’heure en heure jusqu’au jour où il ne restera plus qu’à compter les morts et les blessés. Quel sera le résultat matériel et définitif de ce solennel scrutin du 23 mai ? C’est ce qu’il serait parfaitement oiseux de chercher à deviner, d’autant plus qu’il y a un fait dont il faut tenir compte et qui est très propre à remettre le sang-froid dans les esprits ; ce fait bien simple et à peu près invariable, c’est que Paris n’est pas la province, c’est que, si Paris a l’avantage de l’électricité morale dont il est le foyer et qu’il répand de toutes parts, la province à son tour garde pour elle la supériorité de son poids, de son immense majorité, et que la masse du pays, si émue qu’elle puisse être, n’est point évidemment montée au ton des réunions électorales parisiennes. Le résultat numérique du scrutin peut dépendre de ce fait et de bien d’autres faits moins saisissables ; mais ce qu’il, est facile d’observer dès ce moment, ce qu’on peut regarder en face, c’est le caractère nouveau de ces élections qui se préparent. Jusqu’ici, tous les partis intéressés à revendiquer la liberté s’étaient unis pour combattre ensemble ; ils ne mettaient pas toujours dans leur alliance la meilleure grâce du monde, en fin de compte ils ne se séparaient pas, ils prolongeaient tant bien que mal un