Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 81.djvu/564

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

souvent montrés les maîtres aimables du XVIIe siècle. Par exemple, dans un hôtel où vous montez à votre chambre par un escalier de marbre, vous trouvez sur votre table un flambeau dont le pied est attaché à une sorte de soupière en cuivre, vaste comme cette mer d’airain du temple de Salomon que vous avez pu admirer dans les gravures sur bois des vieilles éditions de la Bible. Ce meuble singulier aurait pu faire excellente figure au milieu du bric-à-brac de flambeaux, lampes, mouchettes et chauffe-pieds qui composait la galerie rétrospective de Hollande à notre dernière exposition universelle, car il ressuscite devant votre imagination le temps déjà bien ancien où l’usage de la bougie était un luxe, cette mer d’airain ayant visiblement pour destination de recevoir tous les flots graisseux que pouvait laisser échapper, la vulgaire chandelle de suif dont s’éclairaient nos aïeux. Tout est propre à Leyde, depuis le pavé jusqu’aux toits, lesquels ont une physionomie marquée, et méritent une mention particulière. Ces toits sont droits et forment au sommet un angle aigu au lieu de l’angle plus ou moins obtus qui résulte de la pente douce et mieux ménagée des nôtres ; aussi la pluie chasse-t-elle, impitoyablement tout grain de sable, tout mince débris, toute moisissure parasite de ces toits brillans comme s’ils étaient lavés chaque jour. Cette disposition donne aux maisons de Leyde une singulière sveltesse, et quand on regarde le panorama de quelques-unes de ses rues, il semble voir un pensionnat de grands garçons élancés ou de fluettes demoiselles alignées sur deux rangs. Leyde, la plus illustre des trois universités de Hollande, n’est donc pas seulement la ville des savans, elle est aussi par excellence la ville des ménagères hollandaises. C’est là qu’ont pris naissance les peintres les plus foncièrement hollandais, le grand Rembrandt et les maîtres secondaires qui ont fait du tableau de genre l’exacte représentation de la vie familière de leur patrie, Gérard Dow, Metzu, Miéris, Jean Steen. Le tableau de genre hollandais, c’est l’œuvre du genius loci de Leyde, comme le paysage hollandais est l’œuvre du genius loci de Harlem, patrie de tant de grands paysagistes, Ruysdael, Wynants, les Wouwerman, Berghem. Leyde et Harlem, c’est là qu’il faut chercher la réelle originalité de la civilisation hollandaise, partout ailleurs mélangée d’alliage flamand ou germanique. Les deux villes se partagent entre elles le génie propre du pays, les particularités curieuses qui l’ont rendu si intéressant pour les autres peuples : à Leyde appartiennent les savans, les Elzevir, les ménagères, le tableau de genre et Rembrandt ; à Harlem, les tulipes et les hyacinthes, la peinture de paysage et Ruysdael.

L’originalité de cette physionomie est aujourd’hui pour le visiteur le véritable intérêt de Leyde ; mais cette âme de la vieille