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exemple, — c’est à la Hollande beaucoup plutôt qu’à l’Angleterre qu’il en a emprunté l’idée. Le décor verdoyant dont il a doté nos villes, c’est le décor invariable des villes hollandaises. Quelquefois même, quand la ville est petite, elle se confond avec ce décor, et alors elle a l’air d’avoir été bâtie pour lui. Arnheim, enserrée par son superbe boulevard et envahie de tous côtés par un charmant paysage, ressemble à une miniature de ville que l’on aurait bâtie dans un grand parc pour en varier les aspects. Les hommes traduisent involontairement leur âme jusque dans les petits détails de leur existence, et ces parcs, aimables aux yeux de l’artiste et salutaires aux poumons du peuple, ont une importance pour l’observateur des phénomènes politiques. Rien ne fait mieux comprendre la profonde différence qui sépare les temps où nous vivons de la société d’autrefois que la comparaison de l’ancien système de promenades avec le nouveau. L’ancien système de promenades était aristocratique comme la société ; notre nouveau système est démocratique. Autrefois on plantait une promenade pour les siècles ; il lui fallait la durée pour grandir, et bien des générations s’écoulaient avant qu’apparût celle qui pouvait jouir réellement de ses ombrages. Le luxe moderne de nos promenades au contraire, ce luxe composé de verdure, de fleurs et d’arbrisseaux, qu’il est frais, mais qu’il est éphémère et fragile ! On dirait qu’il n’y en a là que pour une saison, et qu’il faudra renouveler incessamment le bail à court terme passé avec la nature. Oui, mais ceux même qui ont plan de ce parc ont pu en jouir ; ces fleurs sans durée qu’un printemps emporte, un printemps les ressuscite ; ces arbrisseaux dont l’orage respecte la modestie pliante et souple peuvent, en cas d’accidens, être remplacés du jour au lendemain, les vents et les pluies du ciel balaient et lavent la poussière qu’un jour de trop grand soleil répand sur ce luxe verdoyant étalé à ciel ouvert. Ainsi des générations des hommes dans les sociétés démocratiques : mobiles et éphémères, elles passent comme le printemps de l’année, fleurissent et se dessèchent en quelques heures ; elles se succèdent aussi sans plus d’interruption que les printemps. Comparez à ces modernes plantages le seul spécimen de promenade à l’ancienne mode que contienne, je crois, la Hollande, le mail d’Utrecht. Cette promenade fut établie, dit-on, avant l’arrivée des Espagnols dans le pays, ce qui lui donne, comme vous voyez, de respectables quartiers historiques, et nous reporte aux derniers temps de la domination des anciens princes-évêques. Elle a le premier et le plus essentiel caractère des aristocraties, la durée et l’immutabilité. Elle en a aussi le second et le plus moral, la sévérité et la noblesse. Notre Louis XIV, qui s’y connaissait, ne