Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 81.djvu/578

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

a su mettre dans la sienne ; c’est que tous les élémens du tableau de Rembrandt ont été soumis à un seul, à l’élément magique de la lumière, tandis que chez van der Helst ces élément ne se sont pas fondus dans une unité poétique. L’œuvre de Rembrandt est une symphonie ; l’œuvre de van der Helst est une réunion de mélodies diverses qui, chantées en même temps et sur des tons différens, se contrarient l’une l’autre.

C’est cette absence de génie qui paralyse aussi le remarquable sentiment de la vie qui est chez van der Helst. Après avoir longtemps cherché pourquoi ces figures si vivantes de van der Helst me causaient si peu d’émotion, j’ai fini par découvrir que cette indifférence provenait de ce que l’artiste ne me menait jamais très avant dans le monde de l’âme, et ne dépassait presque jamais la frontière du tempérament physique. Ce que van der Helst indique surtout avec une netteté admirable, c’est le tempérament de ses personnages ; si l’on cherche bien, là est surtout son originalité, la qualité qui le sépare de tous les peintres de portraits, et dans laquelle il n’a point de rivaux. Van der Helst est le plus grand peintre de portraits du monde, s’il suffit pour cela de faire saillir cette âme matérielle qui résulte en nous de l’équilibre et du mélange des diverses humeurs. Quel était le caractère véritable de ses personnages, la trempe et la portée de leur âme ? Nous ne le voyons presque jamais très nettement ; en revanche, nous pourrions signaler avec la plus parfaite exactitude leur état de santé, nommer les maladies dont ils souffraient et dont ils étaient menacés, n’enseigne à la belle écharpe bleue qui est sur le devant du célèbre tableau du Repas de la milice est un sanguin qui fera bien de prendre garde à l’ivresse, car il est accessible aux congestions, et l’apoplexie pourrait bien être sa fin. Ce vieux gentilhomme qui se penche en tremblotant pour porter un toast est un nerveux déjà sur la limite de la paralysie. Le jeune Andries Bicker Andrieszoon, dont nous avons fait mention dans une de nos précédentes études, est un lympathique sujet aux étouffemens, comme l’indique son obésité précoce. Ce ministre protestant dont le portrait se voit à Rotterdam, et qui fait penser aux puritains de Walter Scott, est un bilieux dont le tempérament est encore en parfait équilibre, mais qui, à la suite d’une trop longue controverse et dans un jour de colère, pourrait bien sentir les premières atteintes de l’hépatite. C’est à cet art de peindre les tempéramens plus qu’à, toute autre qualité que le Repas de la milice doit d’être une œuvre d’une originalité très particulière, au lieu de n’être qu’un très beau tableau. Et ici je ne puis m’empêcher de faire cette réflexion, que van der Helst a trouvé dans ces repas de la milice d’autrefois les sujets qui s’accordaient le