Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 81.djvu/620

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un animal adulte d’un sexe quelconque, et d’esquisser à grands traits, d’après cet unique individu, la physionomie abstraite de l’espèce. Il y aurait à suivre d’un regard patient la série des développemens successifs de plusieurs sujets, à examiner si cette suite de progrès présente dans les genres divers des phases pareilles ou différentes. Si chaque espèce en effet dans son mouvement ascendant s’arrête à un degré distinct de l’échelle psychologique, chaque espèce a son essence à elle, sa nature morale, qui la différencie des autres espèces, quelque semblables du reste que soient les commencemens. Un exemple fera sentir la justesse de cette pensée. Il semble que chez tous les animaux sans exception l’amour maternel se produise à son heure sous les mêmes traits et avec une ravissante évidence. Ce n’est pas seulement la poule qui veille sur sa nichée et qui au besoin la défend ; les preuves de l’universalité de cet instinct sont innombrables. Le chat marin a autant de sollicitude pour sa progéniture, la fourmi nourrice prodigue autant de soins aux larves fraîchement écloses que la femme à son enfant. Irez-vous donc tout de suite en conclure que l’affection maternelle est absolument la même chez les insectes, chez les poissons et chez la compagne de l’homme ? Vous n’en auriez pas le droit. Comment alors découvrir la différence ? En suivant la femelle de l’animal et la jeune femme pas à pas, depuis le premier instant jusqu’à la dernière minute de leur carrière maternelle. Cette comparaison dévoilerait tôt ou tard une de ces différences spécifiques, profondes, décisives peut-être, une de ces lignes de démarcation qu’il appartient à la seule science de l’esprit de mettre en lumière. Ce n’est point là, convenons-en, l’ancienne et classique psychologie. C’en est une autre qui doit porter le nom nouveau de psychologie comparée. Elle aussi, elle aura ses destinées, tout comme l’anatomie comparée, la philologie comparée, et d’autres encore, qu’il lui sera peut-être donné de redresser.

Ce ne sera pas la faute de M. Agassiz, si cette jeune science ne reçoit bientôt une vigoureuse impulsion. Le naturaliste philosophe ne se contente pas de se former une idée de la vie affectueuse et intellectuelle de l’animal d’après ce que le sens intime lui dit de son âme propre, il n’arrête son idéalisme qu’aux dernières profondeurs. Comme il entend d’ailleurs ne s’enchaîner à aucune solution religieuse, il admet ouvertement l’existence, dans tout animal, d’un principe immatériel semblable à celui qui, par son excellence et la supériorité de ses dons, élève l’homme si fort au-dessus des animaux. « Ce principe existe, dit-il, sans aucun doute ; qu’on l’appelle âme, raison ou instinct, il présente, dans toute la chaîne des êtres organisés, une série de phénomènes étroitement liés les uns aux autres. Il est le fondement, non-seulement des plus hautes