Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 81.djvu/634

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas lents, mais sûrs, l’échelle de la vie invisible. Peut-être ne répondrait-elle pas en fin de compte à toutes les questions que tranche la science actuelle dès que la métaphysique l’enivre ; elle embrasserait du moins presque tout ce monde caché d’énergies et d’âmes dont la nature n’offre à nos regards que le visage.

Pour entreprendre une interprétation semblable de l’univers, on ne peut pas attendre qu’il ait été tout entier observé et décrit. Ajourner la science des causes au temps où l’expérience aura terminé ses travaux, ce serait en prononcer la déchéance. Peut-être la présente étude aura-t-elle servi à démontrer que la suppression de la métaphysique est impossible. La philosophie des chimistes et des naturalistes actuels prouve, à ce qu’il semble, davantage encore. Elle confirme d’abord une belle série de principes essentiels, déjà repris et rajeunis par certains penseurs contemporains ; puis les affirmations conjecturales où elle se lance avec plus d’ardeur que de prudence trahissent un violent désir de franchir les barrières où le positivisme s’était promis de nous emprisonner. Cette impatience est légitime et significative. Toutefois les métaphysiciens de l’école spiritualiste ne sont pas forcés d’y obéir aveuglément. Ils ont eu raison d’y résister aussi longtemps que les faits observés n’ont pas offert de base suffisante à une nouvelle étude des causes. Les siècles sont passés où le philosophe pouvait être à la fois astronome, mathématicien, physicien, naturaliste, et préparer de ses propres mains tous les matériaux de son futur système. La tâche est désormais immense, il a fallu la diviser. C’est donc aux savans d’accomplir celle qui leur est dévolue. C’est aux Wurtz, aux Berthelot, aux Agassiz, aux Quatrefages, aux Wirchow, aux Claude Bernard, d’accumuler et de coordonner les phénomènes ; ce sera aux philosophes d’en chercher l’explication. Malgré leur génie et leurs efforts, les savans sont loin encore d’avoir achevé leur récolte, j’entends celle du siècle présent. Cependant les provisions de faits nouveaux sont assez belles pour que la philosophie en charge son vaisseau et tente quelques premiers voyages. Plusieurs chercheurs sont déjà partis, mais ils sont revenus un peu vite. D’autres persévèrent afin de rapporter, s’il se peut, des solutions fortes et neuves. Ceux-ci rendront à la métaphysique un double service : ils en attesteront l’inépuisable vitalité, et ils feront voir quel immense avantage la science des causes trouve à se retremper périodiquement dans les eaux froides, mais fortifiantes de la science des faits.


CHARLES LEVEQUE.