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demander si, pour former un peuple capable de vivre libre, il ne vaut pas mieux que le prêtre soit aussi indépendant que le lui permettent ses fonctions et aussi attaché que possible au territoire où il exerce son ministère. Sous l’ancien régime, dans un état gouverné despotiquement, le clergé en France s’était fait le défenseur des libertés gallicanes et de l’indépendance de l’église nationale ; il était propriétaire. Aujourd’hui, au sein d’une société avide de liberté, il prêche des doctrines d’asservissement, et il est devenu complètement ultramontain ; il est salarié. Le curé qui jouit d’un domaine rural est encore, par quelques liens, citoyen d’un état. Celui qui n’a plus rien devient, comme le moine, citoyen seulement du monde catholique.

Parmi les partisans de l’incamération des biens ecclésiastiques, il en est beaucoup qui espèrent par cette mesure affaiblir l’influence d’un corps qui a déclaré la guerre aux idées et aux institutions modernes. Ils ne font pas attention que la révolution française a employé ce moyen avec une fureur et une suite implacable qu’on n’imiterait plus maintenant. Pourtant le but a été complètement manqué, et la France est citée aujourd’hui à l’étranger comme le pays le plus catholique de l’Europe. D’ailleurs la vente des biens du clergé peut procurer quelques ressources à un trésor obéré ; elle ne résout point le problème des rapports de l’église et de l’état. Les biens vendus, accorderez-vous un traitement aux ministres des cultes, comme on l’a fait en France, en Italie, en Espagne, en Portugal, en Belgique ? En ce cas, le budget des cultes fait obstacle à la séparation de l’église et de l’état, et impose ces relations compliquées et difficiles que les concordats viennent régulariser. Supprimez-vous radicalement le budget des cultes ? Alors, à moins de rendre presque impossible l’organisation de tout service religieux, ce que les populations ne supporteraient probablement point longtemps, il faut faire comme aux États-Unis et accorder très largement la personnification civile avec le droit de posséder, ce qui amènerait rapidement la reconstitution de la propriété ecclésiastique. Or cette conséquence demande réflexion. La même législation qui n’offre aucun danger dans un pays qui compte une multitude de sectes dont les croyances, les limites, les visées, varient sans cesse, et dont les ministres se marient, peut conduire à l’asservissement une nation qui a un culte dominant, dont les croyances et les desseins restent les mêmes, et dont les prêtres demeurent étrangers à la société civile. On croit volontiers que des institutions excellentes dans le pays où elles ont pris naissance donneront d’aussi bons résultats partout ailleurs. Des échecs fréquens nous montrent à chaque instant que c’est une erreur.