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Si j’avais en réserve un beau bloc de Paros, c’est à M. Mathurin Moreau que je l’enverrais cette année. Son groupe intitulé le Repos, qui représente une femme endormie avec un enfant sur le sein, est une œuvre essentiellement sculpturale, du plus grand caractère et de la plus fière prestance. Toute la partie supérieure est traitée avec la vigueur et la décision d’un talent émancipé qui possède assez la nature pour ne plus la suivre au petit pas, terre à terre. L’artiste s’est montré moins hardi dans le modelé des jambes, qui sont replètes, engorgées, d’une réalité un peu servile. Ce défaut se corrigera facilement : il y a place pour plus d’un progrès entre le plâtre et le marbre. L’Ophélie de M. Falguière, si elle était plantée en face de ce beau groupe, indiquerait de façon très pittoresque que la sculpture est un art plus large et plus varié qu’on ne croit. Elle a mille façons de traiter la nature, tous les styles lui sont permis, depuis l’interprétation héroïque et majestueuse jusqu’à la fantaisie la plus évaporée. M. Falguière n’est pas inférieur à M. Mathurin Moreau, cette Ophélie vaut en son genre le morceau capital que nous admirions tout à l’heure. L’ensemble en est conçu dans un sentiment bien délicat, le mouvement onduleux se dessine avec une rare finesse. Voici un art capricieux, recherché, presque grimaçant à force de manière, et pourtant séducteur en diable, — une véritable friandise offerte aux délicats. Entre le Repos et l’Ophélie, placez la Femme adultère de M. Cambos ; vous aurez la notion d’un art intermédiaire et pour ainsi dire éclectique. La figure est sincèrement féminine sans beaucoup de grandeur ; le sentiment est vif et quelque peu bourgeois. Le mouvement des bras qu’une pudeur tardive croise au-dessus du front est très ingénieusement trouvé ; mais il se tient à égale distance des sublimités antiques et des coquetteries romantiques. L’ajustement, d’un goût assez oriental, ne rappelle ni les beaux plis de la grande statuaire, ni la raideur artistement cassée des draperies du XVe siècle. L’œuvre est bonne, elle est belle, à la façon des tableaux de Paul Delaroche, et elle réussit brillamment dans le même milieu.

La Resipiscenza de M. Cabet nous montre jusqu’à quel point le sculpteur peut effiler, affiner, subtiliser la nature sans la déformer. C’est l’art minutieux poussé jusqu’à l’extrême limite, comme si l’on avait arrêté le bras de l’artiste au moment où il allait gâter son œuvre. Rien de plus fin, de plus frais et de plus attrayant que ces chairs et ces draperies. M. Chabaud nous offre un bon spécimen de sculpture architecturale : deux figures de femmes destinées à éclairer l’extérieur du nouvel Opéra. Ses lampadaires sont d’une belle façon et d’une tournure élégante. M. Bartholdi a pris à tâche de créer un petit monument gai, et il a parfaitement réussi. Son