Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 81.djvu/746

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et vous ne nous montrez qu’un seul mort, qui est précisément le vainqueur ! Ce vice de composition explique une auguste méprise et l’exil de la Divine Tragédie au milieu des médiocrités du Salon. Pour tout spectateur superficiel ou mal averti, le tableau représente Jésus-Christ vaincu par les divinités païennes. Vous avez beau nous dire qu’il ressuscitera dans trois jours, et qu’il fera son chemin dans le monde après Pâques ; l’œil ne voit que ce qu’on lui montre, et, s’il se trompe, la faute en est à vous seul. Voulez-vous être clair ? Représentez le fils de Dieu ressuscitant dans sa gloire et les divinités du paganisme expirant toutes sous ses pieds. Si vous l’aimez mieux, traduisez à coups de brosse la noble idée d’Henri Heine : au sommet de l’Olympe, tandis que les dieux assemblés se régalent de nectar et d’ambroisie, un Juif déguenillé, hâve et sanglant, apparaît chargé de sa croix qu’il jette pesamment sur la table. Voilà un tableau tout fait et bien fait ; il ne reste plus, qu’à le peindre.

J’ai lacéré brutalement la Divine Tragédie ; je me hâte de dire que les morceaux en sont bons. Il y en a d’admirables aux quatre coins de la toile, en haut, en bas, au milieu, presque partout ; ici une tête, là un torse, un groupe entier à droite, au premier plan. Le dessin est mâle, souvent même héroïque ; la peinture est d’une qualité excellente, la couleur même, malgré un déplorable parti-pris, a parfois cette suavité chaste qu’on adore chez Prud’hon. M. Chenavard s’est trompé ; mais mieux vaut mille fois se perdre sur les hauteurs qu’il habite que de rouler en omnibus sur le chemin banal.

Le plafond de M. Bouguereau est une vaste toile d’un aspect très satisfaisant, d’une composition- claire, d’une facture irréprochable. On comprend au premier coup d’œil que l’artiste a voulu peintre Apollon et les Muses dans le grand salon de Jupiter, ou un concert en plein Olympe. Tous les dieux notables y sont flanqués de leurs attributs légendaires et représentés conformément aux meilleurs types de l’école, les uns assis, les autres debout, d’autres étendus sur des nuages capitonnés. Mercure, reconnaissable à ses talons ailés, apporte Psyché sous son bras, et vous devinez immédiatement qu’il arrive de la terre. Les divers groupes sont savamment combinés ; Hercule fait pendant à Mars, qui étale un bel uniforme ; Junon, — une gracieuse petite Junon, pas plus fière que Mme X. ou Mme Z., — s’appuie en bonne épouse sur le trône du roi des dieux, qui tient par contenance un brin de foudre lilas tendre. Bacchus a dépoté son thyrse aux pieds du chat de la maison, à moins pourtant que l’animal ne soit à lui ; dans ce cas, il figurerait une panthère. Vénus, tout à fort convenable et bourgeoise, quoique nue, semble ramener de l’école un Cupidon sans blouse. Tout cela est vraiment