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circonstances indifférentes au grand art ; c’est transporter la scène dans une sphère plus haute que la vie réelle, nous ouvrir un pays où il n’existe ni tailleurs, ni corsetières, ni bottiers. C’est une convention que le spectateur admet sans discuter, parce qu’il y trouve son profit, le nu étant plus beau que pas une autre étoffe ; mais, une fois le marché conclu, il n’y a plus à s’en dédire, et celui qui nous l’a proposé ne saurait y manquer sans impertinence. Vous plaît-il de nous peindre un meurtrier poursuivi par les remords ? Libre à vous de le faire aussi nu que le Gladiateur, si vous habillez les remords en gendarmes, vous commettez une indigne caricature. Les personnages épiques de l’histoire moderne pouvaient être et ont été représentés dans le costume élémentaire des dieux ; un Napoléon Ier ne vous choquerait pas dans l’uniforme d’Achille ; s’il donnait le bras à Marie-Louise en toilette, si les douze maréchaux en grande tenue faisaient cercle autour de lui, votre esprit se révolterait sans savoir pourquoi, par un vague instinct de la convention violée. M. Lambron avait le droit de nous montrer l’Amour taquinant le veuvage, et de déshabiller un éphèbe de vingt ans en présence d’une jeune femme légèrement voilée de noir. Il pouvait à son choix agenouiller un petit monsieur bien mis aux pieds de la veuve X…, qui paraît aisément consolable ; mais ce sans-culotte de vingt ans courant les rues derrière une jeune dame de nos jours irrite la logique des yeux, et l’on cherche malgré soi dans tous les coins du tableau le tricorne d’un sergent de ville. Je me suis étendu longuement sur une œuvre qui mérite à peine deux lignes ; c’est que la question soulevée par M. Lambron voulait être discutée.

Rien à dire de bien nouveau sur M. Hébert ; il est dans la force de son talent, au midi de sa journée. Ses qualités natives et acquises, le goût, la grâce, le sentiment, semblent couler de source. Le climat de Rome a guéri cette morbidesse excessive qu’on blâmait dans ses tableaux datés de Paris. Jamais M. Hébert n’a paru plus absolument lui-même, c’est-à-dire plus tendre et plus ardent à la fois. La Lavandara surtout donne la mesure exacte de ce maître sans aïeux et sans enfans, né de lui-même en pleine école, et qui ne saurait faire école, car il mêle des tons d’âme à ses tons de palette, et son âme n’appartient qu’à lui. M. Lévy cherche encore sa voie, et la cherchera longtemps, je le crains. C’est un esprit distingué, délicat, mais indécis et plus souple que vigoureux. On le voit ballotté, flottant entre l’observation et la rêverie, allant de la nature, qu’il connaît bien, à je ne sais quel idéal rêvé et indéfini. Dans ses œuvres de genre historique, il marie volontiers le réel au convenu, le vrai dessin à la fadaise quintessenciée, la couleur franche à la poudre de riz. Dans la décoration, lorsqu’il pourrait