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est même impossible de citer toutes les œuvres de mérite moyen, car elles surabondent, le genre étant depuis vingt ans une spécialité parisienne, j’allais dire une variété de l’article-Paris. Le rôle de la critique se réduit forcément à noter les ouvrages, hors ligne, à saluer les hommes nouveaux, à montrer la vraie route à quelques talens qui s’égarent.

Le Grand Pardon de M. Bireton et ses Mauvaises Herbes, le Marchand ambulant de M. Gérome et son Harem en promenade, sont quatre ouvrages de grand prix ; mais qui n’indiquent pas une évolution nouvelle dans le talent des auteurs. On sait que M. Breton excelle à entasser dans une fête champêtre tout un monde de types vrais, de physionomies vivantes, de costumes exacts, et que l’importance et le dessin de ces compositions les rangent immédiatement à la suite de la peinture d’histoire. Dans le tableau, voisin, le mouvement de l’homme qui brûle les herbes au bout de sa fourche a plus de grandeur et de noblesse qu’on n’en remarque à l’ordinaire chez le paysan de chez nous ; mais ce n’est pas la première fois que M. Jules Breton introduit dans les actes de la vie champêtre l’élément poétique, grandiose et presque biblique. Le grand tableau de M. Gérome, ce harem en bateau qui longe les côtes de la Mer-Rouge, les oiseaux féminins dans la cage, l’eunuque armé du parapluie, le maître fumant son chibouk, la poésie de l’heure tardive, le paysage mystérieux qui s’estompe sur la côte voisine, la finesse des tons gris qui voilent tout en laissant tout voir, cette eau, ce ciel, ces types, ont le charme tout particulier d’une chose exotique rapportée avec soin, sans accident ni cassure ; mais M. Gérome a déjà fait aussi bien dans le même genre. Sa petite toile est remplie à moitié par des détails de nature morte dont la perfection distance tous les spécialistes, messieurs les peintres ordinaires du satin, de la nacre et de l’acier damasquiné. Et l’homme ! Quelle admirable ouverture de bouche ! On voit les cris arabes qui en sortent par aspirations gutturales. Les chiens, les bâtimens, la foule, une vraie foule condensée dans quelques centimètres de toile, tout cela vit et palpite, mais sans nous rien apprendre de nouveau sur M. Gérome. J’ai vu la semaine dernière un Marchand de tapis du même artiste qui valait ce marchand d’habits. La Halle et la Fantasia de M. Fromentin sont ses tableaux les plus brilans et les plus inimitables ; mais n’est-ce pas un peu ce qu’on pense chaque année devant l’exposition de M. Fromentin ?

J’en dirais volontiers autant des derniers ouvrages de M. Comte, de M. G.-R. Boulanger, de M. Toulmouche. Rien d’aussi spirituel que les petits cochons dansant pour égayer Louis XI, sinon dix autres œuvres aussi spirituelles et aussi précieusement peintes par M. Comte lui-même. M. G.-R. Boulanger, dans deux petites toiles