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peintre lyonnais, se cantonne dans la neige, où il a remporté sa première victoire ; on serait curieux de le voir en plein champ, par un beau soleil d’été. M. Reynaud a pris de la vigueur et de la solidité ; il recommence supérieurement ses premiers tableaux : peut être ferait-il mieux d’en essayer d’autres. N’est-ce donc pas assez que les théâtres de Paris, ayant l’Europe entière à régaler, donnent trois cents représentations du même ouvrage ? La clientèle de nos peintres, qui va croissant de jour en jour, nous condamnera-t-elle à revoir le même tableau tous les ans ?

M. Pils n’a pas révélé de qualités nouvelles dans son Retour d’une battue. L’œuvre est plus importante par les dimensions que par la valeur intrinsèque. M. Guillaumet vise à la peinture d’histoire dans son tableau de la Famine arabe, mais le dessin des nus ?… L’Inondation de M. Leullier est strictement aussi intéressante qu’un mélodrame du vieux boulevard, écrit par quelque élève de Bouchardy. On abuse des grandes toiles, parce qu’il faut forcer l’attention, coûte que coûte ; la sagesse serait de peindre la figure humaine au quart de sa mesure naturelle quand on n’est pas au moins de la force de M. Bouguereau. Voyez M. J.-F. Millet, un maître homme pourtant, et pétri de qualités supérieures. Sa Leçon de tricot serait peut-être excellente, et assurément tolérable sur une toile d’un pied carré. L’insuffisance d’une si grande ébauche fait mal à voir ; les paysannes paraissent bouffies, presque décomposées ; la face de la petite fille n’est qu’une énorme engelure. Le Lanjuinais de M. Muller est conçu dans une dimension exactement appropriée à l’importance du sujet ; l’œuvre paraît vivante et dramatique ; il n’y manque qu’un certain je ne sais quoi, ou plutôt je sais bien quoi, qui est la passion de l’art chez l’artiste. On sent qu’on a devant soi l’œuvre d’un habile homme ; on n’est pas persuadé qu’il croie à ce qu’il fait, ni qu’il aime son propre ouvrage ; une sorte de scepticisme ou de détachement amollit l’impression, et gâte tout.

Les deux tableaux de Mme Henriette Browne, mais surtout le plus petit, nous prouvent que l’élégante artiste a profité de son voyage en Orient. Cet intérieur d’un Tribunal à Damas est composé avec plus d’art et d’originalité que pas un des ouvrages précédens de Mme H. Browne ; la vie turque y est bien observée et bien peinte. Ces petits personnages accroupis sur leur divan dans une vaste salle nue, cet appareil familier, mais non sans grandeur, ce calme, cette naïveté, ces colorations vives sur un fond neutre, c’est tout un monde saisi au vol. M. Mouchot, qui possède l’Orient à fond, est allé à Rome tout exprès pour renouveler son répertoire : heureux voyage pour l’artiste et pour nous ; ses Ruines de l’Arc de Titus animées par un chariot attelé de buffles et par quelques paysans du voisinage valent bien le Bazar aux tapis. M. Belly s’est surpassé,