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Du jet d’eau retombant dans sa vasque rustique
Vibre comme une tendre et limpide musique.
La nature a gardé, même aux jours du déclin,
Sa suprême harmonie et son rhythme divin ;
Une pâle vapeur flotte sur l’avenue,
Et la lune, à travers les blancheurs de la nue,
Brille comme un signal tendre et mystérieux ;
Un doux flambeau d’amour semble éclairer les cieux.

L’amour !… Ton sein tressaille à cette seule idée,
Blonde épouse, et ton âme en est tout obsédée ;
L’amour, tu n’en connais ni les rêves charmans,
Ni les chères douleurs, ni les ravissemens !
Ignorante et naïve, au sortir de l’église,
Dans son logis maussade un vieil époux t’a prise.
Au fond de son couvent, la nonne qui languit,
Les nénuphars baignés par les pleurs de la nuit,
La neige des glaciers, sont moins blancs et moins chastes.
Pourtant ton sein frémit, tes yeux enthousiastes
Plongent dans l’air brumeux comme pour y trouver
Cet invisible dieu dont le nom fait rêver.
Dans ton cœur qui se trouble un abîme se creuse,
Ta pensée y descend tremblante et curieuse,
Et toujours devant elle, à chaque obscur détour,
Se dresse comme un sphinx le spectre de l’amour.

« A quoi te sert, dit-il, ta beauté blanche et blonde ?
Ta jeunesse pâlit et s’effeuille, inféconde,
Comme la fleur perdue au fond des bois ombreux !
N’as-tu point rencontré parfois des amoureux,
Et t’es-tu demandé quels philtres désirables
Donnaient des airs de rois, même aux plus misérables ?
Pourquoi ces yeux en fête et ces seins en émoi,
Pourquoi tant de bonheur au monde et rien pour toi,
Rien que la solitude et le deuil des pensées ?
Que fais-tu dans la vie ? Entre ses mains glacées
Ton vieil époux, comme un geôlier, retiendra-t-il
Longtemps encor ton âme et ton corps en exil ?
N’aimeras-tu jamais ?… Si l’amour est un crime,
Qui devra-t-on punir, le maître ou la victime ?… »

Elle écoute, songeuse, et le vent dans les bois
Semble l’écho lointain des orageuses voix
Qui gémissent au fond de son âme incertaine…
Le vieillard dort toujours dans le grand lit de chêne,