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tout se mêle, le vieux levain révolutionnaire, l’humeur libérale de la reine des villes, le ressentiment contre l’administration de M. Haussmann, l’esprit de fronde, la mobilité passionnée des multitudes, le besoin d’émotions, la fantaisie sceptique, la gaîté, avec un peu de cette ingratitude envers les supériorités du talent qui est la faiblesse de toutes les démocraties. Dans ce plébiscité nouveau qui vient d’être soumis à la France, la province a dit un oui un peu troublé, mais assez imposant encore ; Paris, lui, a dit un non retentissant, injurieux, et entre ces deux courans qui se heurtent, c’est à peine s’il y a une place pour les opinions modérées, ces éternelles et nécessaires médiatrices dans toutes les évolutions de la politique. Que les dernières élections parisiennes aient assuré le triomphe de l’opposition, ce n’est point là certes ce qui a pu étonner, ce n’est pas ce qui a fait du vote du 24 mai l’objet de contradictions ardentes. C’était un résultat sur lequel tous les esprits libéraux ne pouvaient avoir un seul doute. Paris n’a fait en définitive que ce qu’il a toujours fait. Même au lendemain du 2 décembre 1851, il opposait plus de 80,000 voix aux événemens qui étaient à peine accomplis, et peu de jours après il nommait députés le général Cavaignac et M. Carnot. En 1857, à défaut de ceux qui ne voulaient pas prêter serment, il choisissait M. Émile Ollivier, M. Jules Favre, M. Ernest Picard. En 1863, plus un seul candidat officiel n’était élu, la députation parisienne tout entière appartenait au libéralisme ; cette fois la marche s’affermissait et se précisait. Paris n’avait évidemment qu’à suivre le chemin où il était entré, où il s’était maintenu avec une fermeté d’autant plus efficace qu’elle avait été exempte d’impatiences révolutionnaires. Ce qui a caractérisé au contraire les récentes élections, et ce qui en fait une nouveauté, c’est qu’elles ont été une tentative violente pour déplacer toutes les questions, pour transformer l’opposition libérale, qui était la représentation de tout le monde, en une opposition radicale qui ne pouvait plus représenter qu’un parti ; c’est qu’elles ont été sous certains rapports une œuvre de fantaisie, d’emportement et de confusion. L’œuvre n’a point réussi complètement, elle a cependant réussi encore assez pour jeter le trouble dans les esprits, pour nous laisser en présence d’une situation pleine d’obscurités et peut-être aggravée.

Quelle signification sérieuse et pratique ont en effet ces élections de Paris, et à quoi ont-elles abouti ? Que veulent-elles dire ? Il est certainement difficile de se reconnaître au milieu des contradictions qui sont partout. Voilà M. Gambetta, qu’un discours sur la souscription Baudin a fait député de la première circonscription, et d’un autre côté le propre frère du même Baudin, tué sur les barricades en décembre 1851, ce frère est réduit dans la cinquième circonscription à une infime et dérisoire minorité ; il n’a plus qu’à prendre le train pour regagner sa petite ville et son étude d’avoué, d’où on l’a tiré solennellement comme une