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déterminent fatalement la volonté. Assurément il serait injuste de ne voir que cela dans la théorie de MM. Stuart Mill et Littré. Elle est bien la conclusion, de l’expérience, mais d’une expérience qui s’en tient au résultat de l’activité volontaire sans atteindre à l’acte lui-même. Qu’importe que le résultat total soit ramené à une loi, et puisse être l’objet d’une prévision ? Qu’importe que la vie humaine, sous l’impulsion d’un penchant, d’une passion, ou sous l’autorité de la raison, présente un certain caractère d’uniformité, soit dans un sens, soit dans un autre ? En quoi cela infirme-t-il le témoignage de la conscience, qui est toujours là pour attester, de sa voix incessante et irrésistible, que l’homme a été libre, responsable, méritant ou déméritant, dans tous les actes de sa vie normale et réellement personnelle ? Que l’homme essentiellement passionné suive sa voie, que l’homme essentiellement raisonnable suive la sienne, que l’homme chez lequel la raison et la passion se disputent l’empire flotte entre les deux voies sans s’engager résolument dans aucune : qu’y a-t-il à cela de contradictoire à la notion de liberté ? Et parce que les faits moraux ont aussi leur ordre, leur enchaînement, leur loi enfin, est-ce une raison pour en conclure que l’homme n’est point un être libre ? N’y a-t-il pas entre les lois de l’ordre physique et celles de l’ordre moral une assez grande distance pour que la liberté y trouve sa place ?

Nous en sommes encore à comprendre comment cette espèce de déterminisme, si l’on veut absolument se servir du mot, serait incompatible avec la notion de liberté, telle que nous la donne la conscience. Quand il serait vrai que l’homme a toujours un motif de vouloir, qu’il « ne veut jamais « n blanc, » comme dit un de nos physiologistes, cela prouve qu’il se détermine, mais non qu’il est fatalement déterminé à vouloir. Nous craignons que les adversaires du libre arbitre, comme MM. Stuart Mill et Littré, ne confondent la notion de la véritable liberté humaine avec la notion abstraite et toute métaphysique d’une liberté qui s’exercerait dans un état d’indépendance et d’indifférence complètes. Qu’en ce sens le libre arbitre ne soit qu’une hypothèse inintelligible et démentie par les faits, nous en tombons facilement d’accord. Bien qu’il soit vrai qu’à tout moment de sa vie normale l’homme se détermine librement à telle ou telle action, il ne l’est pas moins qu’il ne veut guère et ne veut peut-être jamais sans être sollicité par un mobile ou un motif quelconque. C’est ce qui fait que ce simple pouvoir de vouloir le bien et de ne pas vouloir le mal ne peut être considéré en lui-même comme une garantie de moralité. Ce pouvoir fait le caractère moral de nos actes, il constitue l’acte vertueux ou l’acte vicieux ; mais il ne suffit point à constituer la vertu et le vice proprement dits. Ceci est l’œuvre