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CHRYSOSTOME ET EUDOXIE.


autrement, Dieu ne vous en récompenserait pas moins de vos intentions et de vos efforts. »

Cette lettre, où Chrysostome donne pour consolation à des gens emprisonnés sous une accusation capitale de s’occuper des maux de l’église, nous peint au juste l’état de son âme. Ses fatigues, ses ennuis, le déplaisir même d’être transporté dans une bourgade aux extrémités de l’empire, tout cela disparut à la première idée d’un devoir à remplir. Chassant alors, comme il le conseillait à Olympias, les nuages de tristesse qui assombrissaient son esprit, il se mit au travail avec la même ardeur et la même sérénité que s’il eût encore été à Constantinople dans l’exercice de ses fonctions épiscopales. Ce travail, ce n’était pas moins que la conversion religieuse de la Phénicie, et il se l’était donné, il y avait cinq ans, lors de la tournée ou plutôt de l’expédition pastorale dans l’Asie-Mineure qui attira sur lui tant de haines et fut le commencement de ses longs malheurs. Il avait pu observer pendant son voyage dans les provinces syriennes la situation de la Phénicie sous le point de vue religieux. La Phénicie était encore païenne malgré les tentatives de prédication faites à différentes époques par les évêques des églises voisines, ou plutôt ces tentatives n’avaient point été sérieuses ; d’un côté les fonctionnaires civils, qui en aucun temps n’aiment à se créer des embarras et que d’ailleurs ne dévorait guère le zèle du prosélytisme chrétien, ne les avaient point favorisées ; de l’autre l’entreprise était rude, vu l’humeur récalcitrante des Phéniciens. Ce peuple en effet occupait une trop grande place dans l’histoire mythologique de l’antiquité pour la laisser ravir sans combattre par une religion nouvelle ; patrie de tant de grands dieux qu’elle avait donnés au monde païen, la Phénicie tenait à son culte comme à une portion de son existence nationale. Ces raisons, jointes à la mollesse de l’autorité civile, faisaient que la propagande du christianisme y avait été à peu près sans succès. Chrysostome, en 399, avait entrepris de réveiller par une vive secousse les tiédeurs administratives et religieuses. Voyant l’impuissance du clergé séculier ou son peu de zèle, il s’était adressé aux moines, et en avait lancé une troupe déterminée sur ce pays. Les temples furent attaqués, dévastés, plusieurs démolis, les prêtres païens forcés de fuir devant la violence ; le fruit de ces victoires partielles fut la construction de quelques églises, en petit nombre, et de quelques couvens qui ne durèrent pas. Les magistrats, qu’intimidait la puissance de l’archevêque de Constantinople, quoique son crédit commençât à baisser près de la cour, obéirent à son impulsion et sortirent pour quelque temps de leur engourdissement ; mais les choses n’allèrent pas longtemps ainsi. Avec les disgrâces de Chrysostome, son procès