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CHRYSOSTOME ET EUDOXIE.


Il devait se célébrer sous peu de jours, dans le bourg de Daphné, le lieu des divertissemens d’Antioche, une grande représentation de jeux dits olympiques, où l’on faisait passer en revue sous les yeux des spectateurs la vie et les travaux d’Hercule, avec force courses hippiques, luttes de pugilat. Or on connaît la passion des Antiochiens pour les jeux scéniques, les courses de chars et les combats d’athlètes, et Porphyre savait bien qu’une fois assis sur les bancs d’un cirque ou en face d’un amphithéâtre de mimes aucun d’entre eux ne se dérangerait, même pour l’affaire la plus importante. Tandis que les habitans, grands et petits, païens et chrétiens, désertent la ville pour gagner le bois de Daphné, il ramasse de son côté, au moyen de ses émissaires, plusieurs centaines de gens du peuple et quelques clercs, ses âmes damnées, et il se dirige avec eux vers l’église, où les trois évêques l’avaient précédé. À son arrivée, on ferme les portes, on s’empare des vases sacrés ; un simulacre de nomination a lieu, il s’agenouille, et les évêques l’ordonnent. Tout cela se fit avec une telle hâte qu’on n’acheva même pas les prières de l’ordination, tant on craignait quelque surprise ou le retour fortuit du peuple. Séverien et ses amis quittèrent alors précipitamment l’église, puis la ville, pour aller se réfugier dans les montagnes voisines et de là dans leurs diocèses, car ils appréhendaient la colère des habitans quand leur fraude serait découverte. Le soir en effet, les Antochiens, revenus des jeux, furent fort étonnés d’apprendre qu’ils avaient un évêque, et que cet évêque était Porphyre. La chose ne leur plut point ; mais, ne sachant encore que résoudre, ils passèrent la nuit à se consulter. Le lendemain matin, la résolution était prise, et une foule irritée se porta vers la maison épiscopale, où Porphyre s’était barricadé et faisait mine de se bien défendre, aidé de ses clercs et de ses domestiques. Un siége commença donc, et des gens du peuple amoncelèrent contre la maison de la paille et du bois pour y mettre le feu et brûler l’évêque avec l’évêché. La force armée avertie accourut à temps pour sauver l’évêque, et dégagea la place à grands coups d’épée. La bataille recommença les jours suivans, mais avec un plus grand déploiement de troupes ; bref, Porphyre fut installé sur le trône pontifical par les soldats. Conformément aux intentions de la cour, le gouverneur ordonna au clergé et au peuple de se rendre à l’église sous la menace des pénalités édictées par le décret impérial ; le peuple en grande partie refusa, il essaya de faire des litanies dans les rues en portant devant lui le signe de la croix ; le gouverneur (c’était un certain comte Valentinien) fit charger la litanie comme une émeute de séditieux ; la croix fut renversée dans le tumulte et foulée sous les pieds des chevaux.