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l’assisté. Les choses marchent ainsi depuis des siècles, et ont produit un peuple laborieux, intelligent, honnête et réfléchi. Dans la tenue, rien qui ne soit décent ; le langage dénote quelque culture d’esprit, les physionomies ouvertes et un peu fières sont celles d’hommes que des institutions libres ont marqués de leur empreinte. Avant ces derniers temps, l’influence de ces bonnes mœurs s’étendait aux rapports entre patrons et ouvriers, et y maintenait l’harmonie. Dans leur situation souvent menacée, tous sentaient qu’ils avaient besoin les uns des autres. En Suisse, le fabricant vit près des hommes qu’il emploie avec une simplicité qui désarme les jalousies, éloigne ce qui rendrait trop sensible le contraste des conditions. Il n’y a point de calcul en cela ; c’est l’effet des traditions et des habitudes. Les enfans vivent comme les pères ont vécu, usant avec noblesse de la fortune acquise sans blesser les yeux par un étalage déplacé. Ainsi les distances restent moindres en même temps que les rapports sont meilleurs ; la paix des ateliers se fonde sur la plus puissante des garanties, le respect mutuel. Ces moyens de conduite ne devaient-ils point assurer aux industries locales des jours moins troublés que ceux dont la perspective pèse sur d’autres ateliers de l’Europe ? Hier encore, on était fondée le croire ; aujourd’hui, par l’esprit qui règne, on peut en douter.

Les premiers symptômes de l’agitation bâloise datent du 8 novembre 1868, vers la fin de la foire d’automne. Réunis en nombre à l’occasion de ces jours fériés, les ouvriers en rubans s’abouchèrent ; le moment et le lieu avaient été préparés par cette Association internationale dont en retrouve la main mystérieuse partout où il y a des conditions onéreuses à imposer. Ces conditions étaient arrêtées d’avance, comme avaient été fixés le lieu et le moment ; entre ouvriers, le débat ne devait être que de pure forme ; seulement on admettait qu’avant la rupture il y en eût un plus sérieux avec les fabricans, sauf à passer outre, s’ils ne cédaient pas sur les points principaux. La récapitulation des griefs était longue, vingt-six articles qu’il suffit de résumer : les heures de travail réduites, avec des repos réglés et des consignes moine rigides pour l’entrée et la sortie des ateliers ; des garanties pour le mesurage des pièces d’étoffe ; une augmentation des salaires soit à la tâche, soit à la journée, avec une échelle décroissante des plus bas aux plus élevés, le tout donnait une différence moyenne de 25 pour 100 sur les tarifs en vigueur ; une indemnité équivalant au prix de la journée pendant le temps qui s’écoule entre le montage des pièces, et un surcroît de 25 centimes pour chaque heure supplémentaire ; enfin un prélèvement de 2 1/2 pour 100 sur le montant de la paie, supporté par l’ouvrier aussi bien que par le fabricant, et versé tous