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premiers. Appelant d’un arrêt sommaire rendu sans eux et contre eux, ils demandèrent de nouveau que la cause fût reprise avec leur participation. Cette prétention si raisonnable n’eût pas pesé d’un grand poids auprès des meneurs de grève, si un incident ne s’y fût mêlé. Les ouvriers dissidens, 40 environ, pour mettre leur conscience en repos, appuyèrent les maîtres imprimeurs. Dans une pièce rendue publique, ils déclarèrent que, si l’offre de conciliation était repoussée, ils se détacheraient résolument d’une majorité sans scrupules. L’acte était d’autant plus significatif que cette minorité se composait en très grande partie de Genevois, ouvriers sédentaires, attachés à leurs ateliers. En rompant avec l’association, ils allaient avoir à compter avec les 25 sections dont les menaçait le manifeste et dans lesquelles abondaient les nomades de tous les pays et de tous les corps de métier, troupe turbulente s’il en fut et qui avait déjà fait ses preuves. N’importe : une fois engagés, aucun, parmi ces quarante ouvriers d’élite, ne recula. Ils admettaient avec leurs camarades qu’on procédât à une révision des tarifs, mais en n’employant les moyens de rigueur qu’après avoir épuisé les voies amiables. Ils avaient jusque-là, disaient-ils, vécu en bons termes avec les maîtres imprimeurs, et, à moins d’impossibilité bien démontrée, ils voulaient continuer à vivre ainsi. Au fond, quoi de plus juste et de plus sensé ? Les meneurs de grève ne le prenaient point sur ce pied ; ils n’avaient pas d’assez gros mots pour cette défection avant le combat, et se promettaient de tirer vengeance de ceux qui s’en étaient rendus coupables. Discuter encore quand la majorité avait parlé, c’était plus que de l’indiscipline, c’était de la trahison. De part et d’autre, les imaginations se montaient ; l’air était plein de colères.

Les meneurs sentaient pourtant que la partie devenait difficile à conduire ; à tout prix, il fallait faire entrer dans la grève un autre corps d’état, le plus remuant de tous, celui des ouvriers du bâtiment. Par quel biais, sous quel prétexte ? On va en juger. Les salaires des ouvriers en bâtiment étaient alors réglés par une transaction volontairement consentie au mois de septembre précédent, et à laquelle un conseiller d’état avait assisté comme intermédiaire officieux. Sur un seul point, cette transaction avait été d’un commun accord modifiée. Le prix était stipulé pour la journée : tant la journée d’hiver, tant la journée d’été, ce qui prêtait aux équivoques et suscitait des controverses sans fin. Pour y couper court, on avait ramené l’unité du prix à l’heure au lieu de la journée, et cela dans la proportion la plus exacte, tant par heure, quelle que fût la saison. Il n’y avait là qu’un équivalent, offrant peu de prise à la chicane. Les meneurs de grève