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Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 81.djvu/910

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une superfétation, qui dans leurs mains seulement prendra de la consistance ; ils verront à l’œuvre, si jamais ils s’y mettent comme chefs, ce que sont les élémens de la production et la mesure dans laquelle l’ouvrier y concourt ; ils apprendront à leurs dépens ce qu’ils valent au juste et ce que valent les hommes qui les inspiraient ; ce sera pour eux une école de respect. Au sujet du salaire, même leçon ; ce salaire, quand on l’abandonne à son cours régulier, personne n’en est maître ; il obéit à la loi du marché ; il entre pour une proportion déterminée dans le coût des choses et les élémens des prix. Modifie-t-on cette proportion, un effet correspondant se produit sur les élémens du prix, la loi du marché s’y conforme ; survient-il une augmentation exagérée dans ce salaire, et c’est le cas qui nous occupe, le marché languit ; non-seulement le produit se déprécie, la convenance de produire éprouve elle-même un temps d’arrêt ; si l’on persiste, les ateliers se ferment. Les ouvriers ont obtenu un prix de tâche plus élevé ; mais il n’y a plus de tâche. Voilà où conduisent les convoitises marchant de compagnie avec l’ignorance.

C’est qu’au fond, avant l’amélioration des salaires, il faut faire passer l’amélioration des hommes, et ici on est vraiment heureux pour conclure de se retrouver en plein accord avec M. le comte de Paris. Il assigne résolument au bien-être matériel, comme conditions fondamentales, l’instruction populaire et la liberté politique. Il pense et dit qu’en nourrissant l’esprit on nourrit aussi le corps, et qu’en relevant la dignité on fortifie le jugement. Ainsi seulement les prétentions vaines s’effacent, les appétits mal réglés disparaissent. On est plus juste parce qu’on sait mieux, on est plus discret parce qu’on se tient en garde contre des actes irréfléchis. Ajoutons qu’en matière d’instruction populaire il ne saurait être question de cette nourriture débilitante que dispensent des lectures frivoles, et qu’en fait de liberté politique il ne s’agit pas non plus de ces concessions à titre gracieux qu’un flot amène, qu’un autre flot emporte, et dont le bénéfice se perd dans des commentaires abusifs. C’est de l’Angleterre que nous parlons, un pays d’instruction sérieuse et de liberté réelle, ces deux leviers d’une civilisation supérieure. Les peuples qui en jouissent ont le reste en surcroît, les bonnes mœurs, les principes virils, le discernement de ce qui est digne de respect ; dans la faculté de disposer d’eux-mêmes, dans leur part d’action sur les destinées communes, ils savent trouver au juste la limite qui convient, et cèdent au seul joug qu’on puisse supporter sans déchoir, l’empire de la raison publique.


Louis REYBAUD.