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d’obtenir une idée nette de ce que la religion est en elle-même et dans l’esprit humain. Mécontent pour divers motifs des définitions successivement proposées par Kant, Fichte, Schleiermacher, Hegel et Feuerbach, il voit essentiellement dans la religion la satisfaction de la tendance fondamentale de l’homme, c’est-à-dire la conciliation de l’antithèse qui descend jusqu’au fond même de l’être humain, et provient de l’opposition entre l’infini de ses aspirations et la nature limitée de son être. Le siège de la religion dans l’âme, comme celui de toute satisfaction intérieure, c’est le sentiment. Par la religion, l’esprit humain se sent à son aise, complété ; quant à la forme concrète que la religion revêt, elle dépend de l’état intellectuel et moral de celui qui la conçoit, et se purifie à mesure que cet état s’élève lui-même. C’est de là qu’il part pour dresser le bilan de ce que les travaux philosophiques du passé ont fourni à l’esprit humain de confirmations ou d’éclaircissemens relatifs aux thèses principales qu’il a posées dans les religions issues de sa faculté productive. Il arrive à des résultats qui paraîtront peut-être bien conservateurs aux partisans de la métaphysique de M. Vacherot, mais qui feront l’effet d’incroyables témérités à un grand nombre de ses adversaires. En fait, l’essentiel de la croyance religieuse générale sur Dieu, l’homme et la destinée se trouve maintenu avec des précautions égales vis-à-vis du déisme et du panthéisme. Ce que nous devons signaler du reste, c’est moins la critique à laquelle l’auteur soumet les argumens connus au sujet de l’existence de Dieu et de l’immortalité que le point de vue où il se place pour les grouper selon l’ordre d’importance, les subordonnant à l’argument religieux. Ainsi, dit-il, il est très vrai que les philosophes théistes et les théologiens philosophes ont tiré de ces argumens classiques plus qu’ils ne contenaient, et autorisé la critique de Kant à les frapper l’un après l’autre de déchéance ; mais, si l’on se met de prime abord sur le terrain religieux comme sur un domaine naturel et partant légitime de l’esprit, nous voyons ces argumens se transformer en autant de considérations à l’appui de la donnée essentielle du sentiment religieux. Ils l’aident à reprendre confiance en lui-même quand la réflexion vient l’émousser ; ils servent à rectifier les notions que, dans son ingénuité première, il impose à l’intelligence encore mal exercée. Tout en adoptant très volontiers cette manière d’entendre et de discuter la question religieuse, je crains que l’auteur allemand n’ait parfois affirmé plus que de raison, qu’il ne se soit contenté çà et là de solutions qu’un esprit plus difficile ne pourrait accepter sans réserve. Je fais surtout allusion aux chapitres qui concernent l’existence du mal, la création, la prescience divine. Afin d’écarter la difficulté tirée de la prescience