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spirituel, plus parfait ; mais toujours vous trouverez l’infini et le parfait, tel qu’il peut les concevoir, réunis dans l’objet de son culte. L’homme, quand il adore, n’adore jamais à demi. Prenez le polythéiste au moment où il adresse ses hommages à l’une des divinités de son pays. A l’entendre, ne croirait-on pas qu’il n’adore que celle-là ? Ne lui décerne-t-il pas toute la puissance, toute la sainteté, toute la sagesse imaginables ? Seulement revenez près de lui quelques jours plus tard, et vous le verrez reporter vers une autre divinité les mêmes hommages dans des termes souvent identiques. C’est pour une raison du même genre que plus d’un brave curé de campagne traite régulièrement le saint du jour comme s’il était le plus grand du paradis, et que plus d’un adorateur de la madone, contrairement à l’une des doctrines fondamentales de l’église romaine, qui professe après tout le monothéisme, en fait une déesse souveraine, absolue dans toute la force du terme. Pourquoi la promulgation de l’immaculée conception a-t-elle rencontré si peu de résistances au sein de la catholicité croyante malgré tout ce que la théologie catholique sérieusement étudiée pouvait fournir d’argumens péremptoires contre ce nouveau dogme ? C’est qu’en fait, le culte de Marie une fois admis en principe et passé dans la pratique, la masse croyante trouvait plus religieux de lui attribuer une perfection de plus que de la lui refuser. C’est absolument ce qui s’est passée dans l’histoire du dogme de la divinité de Jésus-Christ. Aux diverses étapes que parcourt la pensée chrétienne avant d’arriver à la formule définitive de ce dogme, le parti vaincu est toujours celui qui refuse à la personne de Jésus la qualité que le parti vainqueur veut lui attribuer : tant il est vrai que le sentiment religieux ne se déploie à l’aise qu’au soleil de la perfection resplendissant dans l’être adoré.

Il ne réclame pas moins énergiquement la réalité objective et consciente de celui-ci. Le sentiment religieux ne s’éveille devant les choses que si, sous les choses, il découvre des personnes. Le jour où l’homme, plus intelligent, net vit plus que des choses dans ces phénomènes naturels où il avait cru voir auparavant des personnes, il cessa d’adorer les phénomènes, mais il ne cessa point d’adorer. Il affirma un Dieu ou des dieux réels, un créateur ou des directeurs du monde physique et moral. Dites-lui qu’il est bien d’adorer la perfection, que son Dieu légitime et vrai, c’est l’idéal qui reluit en chacune de nos consciences, mais qu’il doit se contenter de cette projection fugitive de son être moral, sur le vide, aussitôt il s’étonne, il s’attriste, il replie ses ailes, qui s’étaient déjà ouvertes toutes grandes, et la désolante définition de Feuerbach : « Dieu est un indicible soupir caché au fond de l’âme humaine, » lui parait tout à la fois l’expression de la réalité et la condamnation