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Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 82.djvu/1015

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réso-, ni même peut-être à la possibilité pour lui de réaliser sérieusement toutes les conditions d’un régime vraiment libre. Il s’ensuit que des deux côtés on est dans une position fausse. Les réformes qui s’accomplissent, au lieu d’être le terrain d’action, ne sont qu’un prétexte; la vraie lutte est entre des arrière-pensées, des préventions, des ressentimens inavoués, des défiances. Il est évident que, tant qu’on se battra dans ces nuages, on ne fera que prolonger cet état où plus que jamais on reste dans l’indécision, et ce qu’il y a de plus grave, c’est que ce sont les libertés mêmes du pays qui peuvent en définitive payer les frais de ces luttes de sous-entendus.

Il faut sortir de là, et on ne le peut, cela est bien clair, que si tous les esprits de bonne volonté se mettent à l’œuvre avec une virilité sincère, sans parti-pris. C’est au gouvernement tout le premier à se demander si c’est une bien sérieuse garantie de sécurité pour lui de paraître toujours flottant et hésitant, même quand il accorde ce qu’on lui demande, d’avoir l’air de douter lui-même de ce qu’il fait et de s’enlever ainsi l’avantage d’une attitude simplement et tranquillement confiante. Sans doute on ne passe pas ainsi d’un régime à l’autre sans difficulté et sans une secrète émotion. L’expérience est grave, et elle implique une renonciation plus ou moins volontaire à bien des prérogatives auxquelles on s’était accoutumé; elle est dans tous les cas désormais nécessaire, et ce n’est pas en s’y engageant avec mauvaise humeur, comme dans une aventure nouvelle d’où on peut revenir, qu’on la rendrait plus sûre ou moins périlleuse. Le gouvernement n’a qu’un bon moyen, c’est d’accepter lui-même sans réserve toutes les conséquences de ses propres réformes, c’est d’entrer sans arrière-pensée défiante dans ce régime dont il rouvre les portes. Qu’ont à faire les partis libéraux quant à eux? Ils sont encore plus intéressés à ne pas s’annihiler dans les préventions et les ressentimens. Ce serait de leur part une faute évidente de sacrifier la réalité à des préoccupations toujours assez vaines, de faire dépendre les progrès possibles de conditions dont on n’est pas maître, et de paraître attacher peu de prix à ce qu’on acquiert, sous prétexte qu’on n’a pas tout ce qu’on voudrait ou que la confiance serait illusoire. La confiance est un salutaire cordial, cela est certain; après tout, on peut encore marcher sans elle, si on le veut bien. Il faut prendre les choses pour ce qu’elles sont et les situations telles qu’elles se présentent. Il ne s’agit pas de courir après l’insoluble, d’ouvrir un concours entre toutes les formes théoriques de gouvernement, et de s’engager dans des guerres de mots. L’essentiel pour le moment est d’assurer le terrain conquis et de se saisir tout simplement de ces moyens d’action qu’on retrouve pour faire rentrer la liberté, les garanties, le contrôle dans toutes les institutions.

Ce n’était pas possible jusqu’ici, puisqu’on était lié par toute sorte de