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eurent d’abord un enseignement progressif qui pouvait conduire tout néophyte jusqu’aux dernières profondeurs de la théorie ; peu à peu la séparation des prêtres et des mondains se fit. Aujourd’hui, dans toute l’Asie bouddhique et dans toute l’Europe chrétienne, l’enseignement public des choses de la foi se réduit à des explications données aux enfans et à de superficielles prédications. Rien là n’invite les laïques à approfondir les questions religieuses ; tout le travail des esprits sur ces matières est provoqué par des causes étrangères aux orthodoxies.

Ces causes se résument en un seul mot, la science. Comme celle-ci refait l’œuvre des religions, mais avec des ressources nouvelles et des méthodes progressives, d’une part les clergés conservateurs des orthodoxies ne peuvent admettre le principe de la science, qui est la liberté individuelle, sans détruire la base de la foi, et ainsi la science s’éloigne d’eux ; d’autre part, la science laïque et libre ne peut supprimer ses problèmes naturels sans se mettre en contradiction avec elle-même et sans se frapper de mort. C’est donc elle, sous quelque forme qu’elle se présente, qui remet en question toutes les thèses que les orthodoxies avaient résolues ou supprimées. De là naît cet antagonisme inévitable et quelquefois violent qui a régné et qui règne encore dans tous les pays entre l’orthodoxie et la science, l’une affirmant que le problème est résolu, l’autre le remettant toujours en question. Dans les communions où les fidèles ont remis à des hiérarchies sacerdotales le soin de formuler la foi et de penser pour eux, la science est une revendication permanente du droit individuel, une protestation contre l’orthodoxie et une preuve sans cesse renouvelée que non-seulement les pères ne peuvent enchaîner les fils à leur foi, mais que les fils même n’ont pas le pouvoir d’aliéner leur propre raison.

Si le lecteur se souvient de l’identité que nous avons établie entre la religion et la science, il verra par ce qui précède qu’une différence notable distingue la religion de toutes les orthodoxies dans lesquelles elle s’est fixée tour à tour. Autant la religion s’accorde avec la science, autant les orthodoxies s’en éloignent. Il y a par conséquent autant de différence entre la religion et une orthodoxie qu’il y en a entre la liberté de la pensée et la soumission à un maître. La religion à son origine et même longtemps après sa naissance appelait les hommes à la liberté ; considérée, dans son essence, elle les y appelle encore. Une fois arrêtée dans ses formes et fixée par une loi analogue à celle que les physiologistes appellent la loi d’ossification, elle a perdu pour elle-même sa spontanéité et sa plasticité, et de plus elle a, comme l’ambre, saisi et enveloppé d’un baume conservateur ceux qui se sont reposés sur son sein.