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Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 82.djvu/113

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invasions et la conversion des barbares ; cependant on voit que l’orthodoxie romaine fit alliance avec les conquérans pour assurer sa prépondérance sur les anciennes populations. Plus tard les mésalliances, le progrès de la puissance populaire et le principe même du christianisme, qui est l’égalité des hommes devant Dieu, tendirent à confondre les races. La conquête toute récente encore du Nouveau-Monde mit les races mêlées et presque unifiées de l’Europe en face des peaux-rouges et des noirs, et il fallut ces révolutions sanglantes dont nous avons été les témoins pour empêcher des orthodoxies oppressives de consacrer dans la politique et dans la religion l’inégalité naturelle des races en Amérique. Aujourd’hui la fusion s’opère et ne s’arrêtera plus.

Ainsi la propagation des orthodoxies a varié suivant les races : ici elle les a subordonnées entre elles en les maintenant séparées, là elle a tendu à les croiser et à les fondre les unes dans les autres. Des conséquences analogues sont nées de la différence des peuples dans une même race. L’église chrétienne, après s’être brisée pour s’accommoder aux conditions si différentes des peuples grecs et des peuples d’Occident, n’a jamais pu contracter chez les premiers une union complète et durable avec l’état. Elle n’a donc exercé sur celui-ci qu’une action en quelque sorte latérale, prenant son point d’appui dans la famille et dans sa propre organisation patriarcale. L’explication de ce fait n’est pas bien difficile à découvrir, car le christianisme grec a succédé très exactement aux cultes païens, qui ne reconnaissaient aucun chef suprême ; les peuples chez lesquels il s’établissait, loin d’arriver à la vie nationale comme ceux de l’Occident, étaient des peuples vieillis qu’il avait la prétention de rajeunir, et qui n’avaient jamais eu, politiquement du moins, une unité, une cohésion qui pût se transmettre à l’organisation sacerdotale, La conquête musulmane sauva par l’antagonisme de religion l’union hellénique, mais elle n’apportait aucun élément social nouveau ; de plus, en ôtant aux peuples vaincus leur existence politique, elle forçait l’orthodoxie à vivre sur son propre fonds, c’est-à-dire sur son enseignement et ses rites. Pendant ce temps, l’église d’Orient se développait au nord dans des conditions toutes différentes, et produisait chez les Touraniens et les Slaves une orthodoxie au triomphe de laquelle la politique des tsars était intéressée ; l’alliance du pouvoir et de la religion y devenait aussi étroite qu’elle l’était à Rome ; le tsar était comme le pape de cette grande église, et concevait l’espérance de l’être un jour de tous les chrétiens d’Orient. L’indépendance qu’une longue guerre et l’appui de l’Europe n’ont donnée qu’à une partie des Hellènes rend très bonne à cet égard la situation de l’orthodoxie russe, car, en se faisant protectrice effective du reste des Grecs, elle s’achemine vers leur